C’est à Vancouver, le 13 février, que le commissaire aux langues officielles Raymond Théberge a choisi de dévoiler un rapport sur la pénurie nationale d’enseignants de français langue seconde. Ses recommandations donnent des pistes au gouvernement fédéral pour régler la crise.

Lucas Pilleri (Francopresse)

Une visite du commissaire aux langues officielles sur la côte Pacifique n’est pas anodine. Et pour cause, sa présence au sein de l’École Bilingue Elementary School concerne un problème de longue date qui gangrène le système d’éducation en français : la pénurie d’enseignants.

« De toutes mes années comme enseignante de français langue seconde et de formatrice à l’Université de la Colombie-Britannique, je n’ai jamais vécu une situation comme celle que nous vivons actuellement avec une telle demande », a déclaré Wendy Carr, également vice-présidente de Canadian Parents for French (CPF) au niveau national.

Une pénurie criante

Il faut dire que le succès des programmes de français langue seconde ne faiblit pas, à l’instar de l’immersion. En 1976, environ 23 000 élèves étaient inscrits. Quarante ans plus tard, en 2015, ils sont 430 000. « Après des décennies de croissance exponentielle, les commissions et les conseils scolaires peinent à trouver un nombre suffisant d’enseignants qualifiés », analyse Raymond Théberge.

Aussi, listes d’attente et systèmes de loterie sont le quotidien de bien des parents qui veulent placer leurs enfants en immersion. « Plus que jamais, les Canadiens veulent que leurs enfants profitent des avantages du bilinguisme », a souligné le commissaire face à l’assemblée.

Et la pénurie s’intensifie. Si 360 000 élèves étudiaient en immersion française en 2011, le chiffre grimpe à 430 000 en 2015, soit une hausse de 20 % en seulement quatre ans. L’un de ces apprenants en 7e année, Patrick McCate, a donné sa perspective : « Je sais que je suis chanceux d’être dans un tel programme et je suis motivé à ce que ce soit possible pour tous les enfants canadiens. » Chaudement applaudi par l’auditoire, le témoignage du garçon montre que les défis du recrutement et de la rétention des enseignants s’imposent plus que jamais.

Des propositions pour enrayer la crise

Dans une conférence 100 % bilingue, le commissaire a présenté ses recommandations devant une soixantaine de personnes, incluant des partenaires communautaires, des chercheurs, des professeurs, des représentants du gouvernement, des directeurs d’écoles et de conseils scolaires, sans oublier une vingtaine d’élèves aux premiers rangs.

« Je demande aujourd’hui à la ministre des Langues officielles [Mélanie Joly] d’assurer un leadeurship clair à l’échelle nationale pour remédier à la pénurie chronique d’enseignants », a exprimé Raymond Théberge. Un leadeurship nécessaire si le gouvernement fédéral veut élever le taux de bilinguisme national de 17,9 % à 20 % d’ici 2036.

Pour pallier le manque, le commissaire propose d’abord une table de consultation nationale. Il invite aussi à plus de collaboration entre provinces et territoires, ministères, facultés et conseils scolaires. Au niveau de la formation, Raymond Théberge souhaite plus de places dans les facultés d’éducation, ainsi qu’une campagne de valorisation des carrières en enseignement auprès des jeunes.

Autre mesure concrète : créer une plateforme en ligne regroupant les offres d’emploi de tous les conseils scolaires du pays. Afin de faciliter la mobilité des enseignants, le commissaire suggère une harmonisation des exigences pour pouvoir enseigner d’une province à l’autre.

Questions de financement

Côté financement, le chef de file engage le gouvernement à « veiller à l’allocation opportune et efficace des fonds prévus dans le Plan d’action pour les langues officielles 2018-2023 ». Rappelons ici que le fédéral a promis 31,3 millions pour appuyer des stratégies de recrutement et 12,6 millions pour des bourses d’études. « C’est un pas dans la bonne direction, a-t-il commenté. Mais ça va demander des investissements plus importants, car on sous-estime l’ampleur du problème. »

L’étude, dirigée par les chercheuses Mimi Masson et Elizabeth Jean Larson, indique par ailleurs que les possibilités de perfectionnement professionnel pour les enseignants manquent à l’appel. Plus largement, une amélioration des conditions de travail est demandée. Enfin, il faudrait faciliter la venue des immigrants d’expression française détenteurs d’un diplôme en éducation.

En dépit de l’étude, aucun chiffre précis n’existe sur le nombre d’enseignants manquants au pays. « On ne sait pas jusqu’à quel point on ne répond pas à la demande potentielle », concède Raymond Théberge.

Le Nouveau-Brunswick et l’Ontario se démarquent

L’étude montre qu’après le Québec, le Nouveau-Brunswick compte le plus haut taux d’inscription aux programmes de français langue seconde dans les écoles de langue anglaise (86 %). L’Ontario est de loin la province qui compte le plus grand nombre d’inscriptions aux programmes de français langue seconde, notamment en immersion, avec plus de 210 000 élèves en 2016.