La réputation de Joe Fafard est acquise depuis les années 1970. L’artiste est décédé le 16 mars dans sa maison de Lumsden, à l’âge de 76 ans. Sa passion l’a mené à s’inscrire aux Beaux-Arts de l’Université du Manitoba. Après l’obtention de son baccalauréat en 1966, il a obtenu une maîtrise en Beaux-Arts de l’Université de Pennsylvanie.

Le Fransaskois a reçu bien des honneurs dans sa vie. En 2012, il est devenu le premier artiste de la Saskatchewan dont trois oeuvres ont été reproduites en timbres par Poste Canada.

Pour l’historien de l’art Bernard Mulaire, « Joe Fafard n’a pas inventé l’art animalier ou la représentation de personnages ruraux. Ces sujets ont été abordés dans l’art mondial depuis des siècles. Mais là où il a innové dans le monde de l’art canadien, c’est en abordant ces sujets figuratifs à un moment où l’art contemporain leur avait tourné le dos.

« Ainsi, entre deux poutres en acier nommées sculptures, Joe Fafard exposait une vache en bronze et des bonhommes en céramique habillés de leurs overalls. En même temps, il a su brouiller les pistes en représentant des personnages connus, comme Van Gogh, le grand peintre des humbles. Aussi, en jouant avec toutes les possibilités dimensionnelles qu’offre la sculpture, il a prouvé qu’il n’était pas un artiste naïf, mais bel et bien un artiste instruit, professionnel. »

Joe Fafard, ou l’acuité d’un regard

Le décès de Joe Fafard a inspiré le témoignage suivant à l’artiste et historien de l’art Bernard Mulaire.

Le Canada vient de perdre un de ses artistes les plus aimés. Originaire de Sainte-Marthe en Saskatchewan, en bordure du Manitoba, Joe Fafard est toujours resté fidèle au coin de pays qui l’a vu naître et où, inlassablement, il a puisé son inspiration.

Il a rendu à tous ses sujets, animaux de ferme et personnes de son entourage rural, et même quelques illustres personnages, une noblesse qui a séduit les publics les plus divers. Grâce à la force de son talent, il a su les capter dans des poses naturelles, au repos, pensifs ou en plein mouvement. Et c’est ainsi qu’ils sont entrés pour y rester dans les plus grandes collections muséales et d’entreprises.

Jeune finissant en arts plastiques à l’Université du Manitoba, Joe Fafard a montré ses oeuvres en public pour la première fois en exposant avec L’Atelier de Saint-Boniface à la bibliothèque municipale en 1965. Affable et toujours prêt à appuyer les autres, l’artiste avait conscience de son talent et de son statut.

Malgré une apparence de simplicité, ses oeuvres interrogeaient les notions de représentation figurative, allant jusqu’à jouer avec leurs dimensionalités. Sa sculpture Entre chien et loup érigée au Jardin de sculptures de la Maison des artistes, boulevard Provencher, témoignera longtemps encore de l’acuité de son regard.

Le chagrin d’une petite soeur

Colombe Fafard Chartier, la petite soeur de Joe Fafard, la seule de la famille qui vit à Saint-Boniface, laisse venir à elle des mots simples pour évoquer avec douceur son frère : « C’était un homme très paisible, tranquille, qui avait un profond talent d’observateur. J’avais six frères, il m’en reste deux. »

La fratrie née de l’union de Léopold Fafard et de Julienne Cantin a compté 12 enfants, plus une petite cousine adoptée. « Mon père était un homme d’une grande bonté qui avait un don pour le violon et l’harmonica. Son talent d’artiste, Joe l’a eu sur le bord de notre mère. Elle trouvait toujours le moyen de fabriquer nos jouets. On a eu des parents incroyables qui nous ont aimés, qui nous ont donné la liberté de suivre nos rêves. Ma mère disait : J’en ai 12, mais il n’y en a pas un de pareil!»

Colombe Fafard Chartier est la 8e de la famille, son frère Joe le 6e enfant, venu au monde en 1942 dans la maison de rondins, sur la ferme à Sainte-Marthe. « Déjà tout petit Joe avait le crayon à la main. On n’avait pas beaucoup. Ma mère réservait tous les bouts de papier pour lui. Quand on voulait un cheval, Joe nous le dessinait à la perfection. »

L’artiste avait une certaine prédilection pour les vaches. Sa manière de leur donner vie a certes contribué à lui valoir l’Ordre du Canada dès 1981. L’honneur a été accueilli avec la simplicité coutumière. « Pour lui c’était comme si c’était juste une chose ordinaire. Mon frère était plein de talents et plein de modestie. Il est toujours resté pareil. Jamais les honneurs lui sont montés à la tête. »

Colombe Chartier cultive aussi son art. « Ma muse, c’est les moutons. En argile, en laine, en peinture. Toutes les manières de les fabriquer sont bonnes. Ma mère m’inspire. » Cette mère aimante qui dans son foyer confiait une mission spéciale à son Joe : « C’est toujours lui qui me réveillait le matin. Il était envoyé par ma mère. Je devais être difficile… C’est les petites choses qui nous restent, ancrées dans le coeur. On est tellement proches. Là on a tous le coeur brisé. On a hâte de se serrer ensemble dans les bras…»  B. B.