Pendant cinq rendez-vous, des grands-mères africaines et métisses ont cuisiné leurs plats traditionnels à la Cabane à sucre à Saint-Pierre-Joly. Rassembler deux cultures a été le but des organisateurs, l’Accueil francophone et l’Union nationale métisse Saint-Joseph du Manitoba. C’est aussi un moyen pour des femmes africaines, arrivées il y a quelques années à Winnipeg, de s’intégrer davantage.

Par Mathilde ERRARD

Quoi de plus rassembleur que la cuisine? Préparer un plat ensemble, partager ses astuces et manger tous autour d’une table. D’octobre à mars, huit grands-mères africaines et métisses ont enfilé, tour à tour, leur tablier pour cuisiner des beignets africains, ragoût de pattes de cochon, riz gras, pets de soeurs, etc. (1)

Cécile St-Amant, Jeanne Mubaya et Louise-Marie Akiki ont cuisiné pendant un après-midi. Cette dernière a eu quelques appréhensions. « Je me demandais si notre recette allait leur plaire. » Cécile St-Amant, assise à côté d’elle, la rassure. « Le poulet aux pommes de terre était très bon! Par contre, je me souviens que je n’étais pas très rassurée. Ça bouillait beaucoup dans une des poêles. J’ai dit à Louise-Marie : attention, ton plat est en train de brûler! Mais elle m’a répondu très calmement que ça cuisait doucement ».

Mais ces rencontres ont été au-delà de la cuisine et des échanges de savoir-faire. Les grands-mères africaines ont eu l’occasion de s’insérer dans la vie sociale. Jeanne Mubaya, arrivée il y a six ans à Winnipeg, a besoin de « bouger ». Cette ancienne directrice d’école avait une vie active au Congo : « Des réunions, des visites avec les enfants, m’occuper de ma famille… Donc ici, je fais partie de l’Église, du groupe des aînés de l’Accueil francophone et je suis aussi bénévole dans cet organisme. Ces rencontres m’ont permis d’oublier mon passé ». Oublier son passé douloureux, encore difficile à raconter.

Ténéké Sangare est arrivée il y a deux ans au Canada, mais elle se déplace difficilement, avec sa marchette, à cause d’un problème de hanche. Elle ne peut pas sortir de chez elle autant qu’elle le voudrait. Elle ajuste son bonnet brodé aux couleurs du drapeau de la Côte-d’Ivoire, son pays natal. « Il ne faut pas que je reste seule chez moi et broyer du noir, je dois m’amuser et rencontrer d’autres personnes. »

Elle vivait dans la brousse, dans la ville de Bangolo, à l’est de la capitale, Abidjan. Elle travaillait dans la restauration. Mais la guerre politico-militaire, débutée en 2002, a fait basculer sa vie. « Nous n’avions pas de journaux, donc nous ne savions pas vraiment ce qui se passait dans notre propre pays. Et une nuit, on a tué mon mari, devant moi, alors que j’étais enceinte de six mois ». Elle s’est ensuite réfugiée en Guinée-Conakry, le pays voisin, avec ses enfants.

Elle y a vécu pendant 15 ans, dans des conditions de vie précaires. « Nous avons beaucoup souffert. Nous vivions dans la brousse, loin des villes. Il fallait aller chercher de l’eau à pied. Et nous manquions de nourriture et de médicaments, alors que j’avais besoin d’être soignée pour mon diabète et ma hanche. » En 2017, elle a immigré au Canada. Elle a dix enfants, mais n’a pu emmener avec elle que les deux plus jeunes, aujourd’hui inscrits à l’école. Elle espère qu’un jour, les autres pourront la retrouver.

S’ouvrir, s’adapter et s’intégrer dans une société avec d’autres codes et une autre culture est le défi de tout étranger au Canada et de ces grands-mères africaines. Wilgis Agossa, responsable de la communication de l’Accueil francophone affirme qu’il « faut créer des occasions pour qu’elles puissent partager leurs compétences. Si elles restent dans leur communauté, à quoi bon échanger des savoirfaire? Quel intérêt? »

Certes, quelques heures n’ont pas suffi à créer des liens forts entre ces femmes qui ont grandi et vécu à des milliers de kilomètres les unes des autres. Cécile St-Amant regrette de ne pas avoir « eu l’occasion d’échanger beaucoup avec Louise-Marie Akiki et Jeanne Mubaya. Nous étions pressées par le temps et concentrées sur nos préparations.» Mais ces rencontres auront, au moins, le mérite d’avoir rassemblé plusieurs personnes qui ne se seraient jamais rencontrées auparavant.

(1) Les recettes sont disponibles sur le blogue de Colombe Fortin sur Radio-Canada, « Vos meilleures recettes franco-manitobaines.