Décolonisation, autochtonisation, officialisation. Ces mots sont dans l’air alors que les milieux universitaires tentent de voir clair dans les tendances sociétales que portent les vagues de mobilisation des Premières Nations. Devant l’élan des citoyens de faire une plus grande place aux Autochtones et d’apprendre les langues ancestrales, la francophonie entame une discussion nationale sur le rôle qu’elle pourrait jouer dans ce mouvement.
Par Jean-Pierre DUBÉ (Francopresse)
Professeure d’études politiques à l’Université d’Ottawa, Janique Dubois à participé le 9 mars à un panel organisé par la Chaire de recherche sur la francophonie et les politiques publiques sur Les langues autochtones : officialisation et revitalisation. Sa présentation traite du phénomène de l’apprentissage de ces langues par des non-autochtones.
« Il y a une différence entre l’apprentissage des langues et le vécu des langues dans les communautés. On a des institutions qui offrent de plus en plus de cours de langues autochtones. Mon intervention porte sur ce que ça peut contribuer au niveau de la compréhension des peuples autochtones. »
Les francophones en milieu minoritaire connaissent cet enjeu puisqu’ils sont parfois aux prises avec des tensions entre les écoles françaises et d’immersion. « Une réalité que les francophones ont vécue est cette distinction dans l’apprentissage, précise la Fransaskoise, entre le fait d’accroitre le nombre de parlants français et de faire vivre la langue française dans les communautés. »
L’intérêt croissant pour les langues des Premières Nations remonte notamment à la Commission royale sur les peuples autochtones (1996), au mouvement Idle No More (2012) et à la Commission vérité et réconciliation (2015) sur les écoles résidentielles.
« Pour transmettre la langue, il faut la parler »
« La mobilisation des peuples autochtones a éveillé notre conscientisation à leur situation générale, estime Janique Dubois. On a fait des progrès et constaté des besoins. C’est possible que ça donne un éveil sociétal et politique pour faire avancer des projets qui ont été imaginés il y a longtemps. »
Des initiatives ont émergé en Saskatchewan depuis presque 15 ans, précise-t-elle. « Les divisions scolaires s’intéressent non seulement à donner des cours mais aussi des programmes d’immersion. On est encore aux premiers pas pour voir comment on peut interagir et intégrer les langues autochtones dans les systèmes scolaires. »
La Division scolaire Louis-Riel, par exemple, offre depuis septembre 2017 des cours d’ojibwé à 750 élèves, soit environ 14 % de sa population. Un des défis de ce type d’enseignement dans l’Ouest canadien consiste à trouver des enseignants qualifiés qui sont des locuteurs.
Ce défi est mis en évidence par le recensement de 2016. Statistique Canada note une légère hausse du nombre de langues autochtones parlées, mais ne détaille pas le niveau de compétence des locuteurs.
« Il ne faut pas oublier la réalité bien connue des francophones, souligne Janique Dubois, que pour transmettre une langue, il faut la parler. »
« Les données ne nous permettent pas de déterminer si ces langues sont bien vivantes. Est-ce que les gens parlent les langues ou en connaissent quelques mots? Cette information est importante pour déterminer s’il y a transmission des langues. »
Comme d’autres communautés, les francophones s’intéressent à l’avenir des peuples autochtones, remarque la politicologue. Ils veulent établir des liens avec eux et « appuyer non seulement l’apprentissage de leurs langues mais aussi la vitalité ». Comment?
« Appuyer non seulement l’apprentissage mais aussi la vitalité »
Il n’y a pas de lien direct entre les expériences et les connaissances des deux groupes, croit-elle. « Les francophones ont beaucoup d’alliés dans la majorité et le français est parlé dans plusieurs pays. Mais la plupart des langues autochtones n’existent pas ailleurs, seulement dans des régions particulières. »
Selon le recensement, 260 550 citoyens ont déclaré pouvoir soutenir une conversation en langue autochtone. Plus de 70 langues de 12 familles linguistiques sont parlées au pays, le cri étant la plus répandue, avec 96 575 locuteurs.
Janique Dubois conclut : « Les questions à se poser – et de les poser, c’est commencer la discussion – c’est quel rôle on veut jouer? Comment peut-on s’allier sans nécessairement être des alliés sur la même base linguistique? Parler des langues est une façon d’entrer dans cette réflexion. »
La discussion se poursuivait au même moment à la Cité universitaire francophone de l’Université de Regina, où se tenait du 8 au 10 mars le Colloque Perspectives d’autochtonisation chez les francophones : préparer un avenir commun dans l’Ouest canadien.
Les organisateurs définissent l’autochtonisation comme un processus visant à transformer les institutions pour faire une place aux Autochtones, par exemple dans les contenus culturels et éducatifs, mais aussi d’établir des relations politiques pour mieux se comprendre.
Le colloque organisé par le Centre canadien de recherche sur les francophones en milieu minoritaire doit mener à la formation d’un groupe de recherche multi-institutionnel et multidisciplinaire.