Le Comité Francoqueer de l’Ouest a vu le jour en janvier à Edmonton en Alberta. Son objectif : appuyer les communautés LGBTQ+, qui émergent dans les provinces de l’Ouest et du Nord du Canada (1). Le point avec Em Lamache, son directeur des communications.

Par Marie BERCKVENS

Quand on pense aux avancées du côté anglophone, il devenait pressant de mettre sur pied une organisation francophone…

Je vois ici en Alberta la différence drastique entre les communautés anglophones et francophones quand ça vient à la question de la diversité sexuelle et de genre. C’est la nuit et le jour. On a au moins dix ans de retard sur la communauté anglophone. On habite pourtant dans la même province, avec les mêmes lois.

Il y a pourtant une bonne raison à cet état de fait, à cause des tabous, dans les communautés francophones en situation minoritaire.

Tabou, c’est un mot fort…

Le stress d’une minorité linguistique est quelque chose de très réel, qui a vraiment empêché l’avancée de ses membres sur certains sujets. Ce stress a eu aussi des conséquences au niveau de la diversité culturelle au sein même de la francophonie. On avait là-dessus des gros problèmes. On commence enfin à introduire d’autres cultures francophones. Ces sujets-là sont plus difficiles à aborder, parce qu’on est en milieu minoritaire.

Il y a aussi le fait que comme communauté en situation minoritaire, on s’est battus pour survivre pendant tellement longtemps qu’on a de la difficulté ensuite à parler d’autres sujets. Un des reproches qui nous a été adressé quand on a commencé le Comité Francoqueer, c’est qu’on fracturait la communauté francophone. On nous disait : On a besoin de rester ensemble pour s’assurer qu’on ne va pas se faire assimiler. On doit rester ensemble pour s’assurer que la communauté francophone soit vue comme une communauté unie. Ça risque de créer des sousgroupes. Si on a des sous-groupes, on va perdre contre les Anglais.

 Est-ce que « ce stress de la minorité » est légitime?

Pendant longtemps, j’ai pensé que c’était légitime. Parce que j’ai grandi avec cette peur immense de l’assimilation. Maintenant, je ne pense plus que c’est légitime. Parce que moi, personnellement, j’ai quitté la francophonie. Je ne pouvais pas être moi-même tout en étant francophone. Je devais faire un choix entre mon identité de genre et mon identité sexuelle, et ma langue et ma culture. Puisque je ne pouvais pas vivre dans le mensonge, j’ai choisi mon identité de genre et mon orientation sexuelle.

En 2011, j’ai donc quitté la francophonie. Ça a duré des années. La plupart des membres du Comité ont fait exactement la même chose. Il n’y avait pas de place pour eux au sein de la communauté francophone. Donc ils sont partis.

Non seulement nous n’avons pas brisé la communauté francophone mais au contraire, on contribue à maintenir la francophonie pour que personne ne soit exclu au sein de cette francophonie. Pour moi, c’est cette manière d’agir inclusive qui va faire la différence entre l’assimilation ou non. Finalement, au lieu de l’affaiblir, le travail dans lequel on est engagés renforce la francophonie.

D’où la nécessité du Comité Francoqueer de l’Ouest…

Avec le Comité, on a donc créé un espace inclusif au sein de la francophonie. Comme ça, non seulement on peut garder les francophones qui s’identifient comme issus de la diversité sexuelle et de genre, mais on ouvre aussi la francophonie aux anglophones. Surtout qu’eux n’avaient aucune idée que la francophonie existait. Comme ça, on a ouvert la porte un peu des deux côtés.

En janvier 2019, vous avez dit que vous vouliez être un organisme pour tout l’Ouest canadien…

On s’adresse aux organismes ou aux écoles francophones ou francophiles de l’Ouest et du Nord. On se spécialise dans la navigation des enjeux LGBTQ+ dans le contexte de la francophonie en situation minoritaire.

On est techniquement incorporé au niveau albertain, mais notre mandat est évidemment ouvert à l’Ouest canadien. La seule raison pour laquelle on s’est incorporé en Alberta, c’est parce que ça nous donnait potentiellement accès à plus de subventions.

Quel est l’objectif au fond? Avoir un satellite dans chaque province de l’Ouest?

Notre but est d’être la ressource connexe 2SLGBTQIA+ francophone en situation minoritaire et d’offrir du soutien à la création d’organismes satellites, parce qu’on sait que les communautés se connaissent mieux elles-mêmes. On veut aider les communautés franco phones de l’Ouest à devenir des intervenantes elles-mêmes, en leur donnant les ressources qu’on a développées, pour que ce soit plus facile pour elles. C’est très difficile de commencer quelque chose de zéro.

Quelle est votre revendication la plus urgente ou prioritaire?

Il y a encore beaucoup de manques dans les connaissances de base, commele vocabulaire : Qu’est-ce que ça veut dire 2SLGBTQIA+ (voir encadré). Quelle est la différence entre l’orientation sexuelle, l’identité de genre, l’expression de genre, le sexe assigné à la naissance? Acquérir ce vocabulaire de base est encore quelque chose de difficile. Beaucoup de personnes ne le connaissent pas encore ou ne le connaissent qu’en anglais. Après, ça devient difficile d’appliquer ce vocabulaire dans sa famille, dans son école, dans n’importe quel environnement en français. Je pense que c’est la plus grosse barrière. Comme ils n’ont pas vraiment de point de repère, les gens ont peur d’aborder le sujet. Nous, on veut vraiment créer le point de repère pour que les portes s’ouvrent.

L’acquisition du vocabulaire devrait engendrer une prise de conscience et une normalisation…

Oui et ça normalise aussi les identités différentes de la « norme ». D’être plus soucieux de l’inclusion, ça normalise la diversité sexuelle et de genre. Par exemple, récemment, on a travaillé avec un organisme en contact avec des jeunes. Dans leur formulaire, au lieu de parent 1 et parent 2, ils avaient écrit : Nom de la mère, nom du père. Évidemment, ce n’était pas fait de manière malicieuse. Mais c’est du langage extrêmement non inclusif. Si on ne connaît pas le vocabulaire, on ne va même pas s’en rendre compte. Mais si on le connaît, on va peut-être commencer un processus de réflexion par rapport aux termes qu’on utilise.

Qu’est-ce qui va faire la différence pour atteindre cette banalisation recherchée?

Définitivement le soutien des alliés, que des personnes se sentent interpellées et veulent rendre leur organisme ou leur communauté plus inclusive. Ces alliés vont devenir des ambassadeurs et vont montrer à leur tour ce que c’est d’être un allié.

Certaines personnes homophobes ou transphobes ne vont pas forcément prendre en considération l’opinion d’une personne homosexuelle ou transgenre. C’est là aussi que la voix de l’allié est très importante. Il vales écouter beaucoup plus.

Cette « normalisation » passe aussi par la culture…

La culture manque vraiment de normalisation des identités 2SLGBTQIA+. On n’a pas besoin d’un film qui parle des enjeux LGBTQ+. Dans le film, l’un des personnages peut être homosexuel. Et ce n’est pas un big deal. L’homosexualité ou l’identité transgenre comme telle n’a pas besoin d’être le centre de l’histoire. Donner une place normale à ces identités-là va déjà faire une énorme différence. C’est ça qu’on essaye de faire : normaliser nos vies. On dit : Nos vies ne sont pas différentes de la vôtre ou de celle des personnes hétérosexuelles ou de cisgenres. On vit une vie comme vous autres.

(1) Les provinces et territoires concernés sont la Colombie- Britannique, l’Alberta, la Saskatchewan, le Manitoba, le Yukon, les Territoires du Nord- Ouest, et le Nunavut.