Par Michel LAGACÉ
En novembre 2005, le parlement canadien semblait avoir comblé une lacune importante dans la Loi sur les langues officielles en y ajoutant une nouvelle partie VII. Le gouvernement fédéral s’engageait alors à favoriser l’épanouissement des minorités francophones et anglophones du Canada et à appuyer leur développement, ainsi qu’à promouvoir la pleine reconnaissance et l’usage du français et de l’anglais dans la société canadienne. Le défunt sénateur Jean- Robert Gauthier avait longtemps milité pour cet amendement pour enfin « donner des dents » à une loi qui en manquait souvent, et la partie VII semblait répondre à ses voeux.
Mieux encore, l’article 41 de la Loi confiait aux institutions fédérales la responsabilité de prendre des mesures positives pour mettre en oeuvre cet engagement, et le gouvernement pouvait fixer par règlement les modalités d’exécution de ces nouvelles obligations. Qu’est-ce qui pourrait aller mal avec une telle loi inspirée par tant de bonnes intentions?
Le juge Denis Gascon de la Cour fédérale a donné sa réponse en mai 2017. La Fédération des francophones de la Colombie-Britannique a voulu s’appuyer sur la partie VII pour s’opposer à la fermeture de cinq centres d’aide à l’emploi que le gouvernement fédéral avait transférés au gouvernement provincial. Le juge a débouté la Fédération en disant qu’il « est indéniable que la portée de l’obligation de l’article 41 se trouve handicapée par l’absence de règlements ». Puisque les règlements sont la manière concrète de traduire dans la réalité les idéaux exprimés dans une loi, la partie VII sans règlements n’a pas la force contraignante qu’on aurait pu croire lui avoir donnée en 2005.
Quatorze ans après son adoption, la partie VII est toujours dépourvue de règlements. À toutes fins pratiques, elle ne veut rien dire à moins que la Cour suprême ne renverse la décision du juge Gascon. Et Justin Trudeau a attendu jusqu’au mois d’août l’an dernier avant de mandater sa ministre, Mélanie Joly, de « commencer un examen dans le but de moderniser la Loi… ».
Les francophones en milieu minoritaire doivent continuer à jouer à la fois sur les fronts politique et juridique. Quand leurs revendications ne réussissent pas à convaincre le législateur, ils se tournent vers les tribunaux qui, eux, tentent de faire ce qu’ils peuvent pour interpréter les lois telles qu’elles sont écrites. Ainsi, le juge Gascon déclarait que « ce n’est pas à la cour de mettre les chaussures du pouvoir exécutif et d’intervenir là où le gouvernement fédéral n’a pas voulu le faire ».
Voici donc la dynamique à l’oeuvre. Lorsque le législateur n’agit pas, les francophones demandent aux tribunaux d’intervenir. L’appel aux tribunaux dépend des lois qui, à leur tour, reflètent la volonté politique du moment. Parce que le Canada est un État de droit, les élus vont accepter les jugements des tribunaux. Les francophones continueront donc à démontrer l’importance et les limites de l’État de droit.