Alors qu’elle siégeait au Sénat du Canada, l’ex-sénatrice libérale
franco-manitobaine Maria Chaput avait déposé à quatre reprises
entre 2013 et janvier 2016 un projet de loi pour modifier la
partie IV de la Loi sur les langues offcielles, que le Règlement, qui
vient d’être révisé le 10 juillet par le Gouvernement du Canada,
met en application.

Par Camille HARPER

Ce que vous revendiquiez il y a six ans semble finalement avancer. Vous sentez-vous enfin écoutée?

Mon approche quand j’ai élaboré tous mes projets de loi, c’était que la Loi sur les langues offcielles avait toujours été un outil pour déterminer le seuil minimal de services à offrir plutôt que de tenir compte des réalités des communautés et de leur vitalité. Or cette Loi a pour objectif l’épanouissement de la dualité linguistique au Canada, donc on devrait considérer tout ce qui contribue à la francophonie.

Quand Scott Brison, le président du Conseil du Trésor de novembre 2015 à janvier 2019, a accepté en 2016 de réviser les règlements, il m’a personnellement téléphoné pour m’inviter à sa conférence de presse et m’a assuré que les éléments de mon projet de loi seraient pris en considération.

En voyant le nouveau Règlement adopté, je sens que mon message a vraiment été entendu. La question de la définition de la population francophone a été adressée, avec une méthode de calcul plus inclusive et de nouveaux critères fondés sur des signes de vitalité. Ça ne va pas aussi loin que ce que j’aurais aimé, mais c’est un grand pas dans la bonne direction.

Quels seraient les autres pas à faire?

D’abord, la nouvelle méthode de calcul parle encore de français parlé « au foyer ». Je voudrais que cette notion soit enlevée. On reçoit beaucoup d’immigrants qui sont parfaitement bilingues et travaillent en français, mais qui parlent leur langue natale à la maison en famille. Ils devraient être comptabilisés. La méthode de calcul va devoir être adaptée au fur et à mesure que le visage de la francophonie change.

De même, le seul critère retenu comme signe de vitalité d’une communauté est la présence d’une école française, mais il y a plein d’autres choses qui la montrent, comme un centre culturel ou encore une caisse populaire.

Et surtout, on a obtenu la modification du règlement, mais pas encore de la partie IV de la Loi! C’est à nous, aux organismes porte-parole de la francophonie, de continuer à bien suivre le dossier de près et à revendiquer pour aller encore plus loin.

Pensez-vous notamment que la Société de la francophonie manitobaine devrait maintenir sa poursuite juridique du Gouvernement du Canada devant les tribunaux?

Non. Certes, il ne faut pas baisser la garde, mais il faut mettre ses énergies là où elles auront le plus d’impact. Pour la SFM, une action en cour ne donnerait plus rien car elle demandait une définition élargie de la notion de francophone, et le nouveau Règlement y répond déjà.

Cependant, la SFM, comme les autres organismes francophones, devra suivre de près le dossier et commencer de nouvelles revendications au besoin.

Un règlement étant plus facile à modifier qu’une loi, craignez-vous un retour en arrière si le gouvernement changeait de main en octobre prochain?

En termes de modification de règlement, ce sont des premiers pas qui restent assez prudents donc non, je ne suis pas inquiète qu’un gouvernement puisse vouloir retourner en arrière.

Pour moi, c’est une affaire de faite, ce qui n’empêche pas de toujours rester vigilants.

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Avant, après : qu’est-ce qui change?

Le premier Règlement portant sur la partie IV de la Loi sur les langues officielles a été adopté en 1991. 28 ans plus tard, le gouvernement a décidé d’y apporter quelques modifications. Voici un récapitulatif des incidences anticipées par le gouvernement fédéral. (1)

Plus de personnes : la nouvelle méthode de calcul tient compte de tous les immigrants et des membres des familles bilingues quand ils parlent la langue officielle minoritaire à la maison. Cela représente 785 000 personnes additionnelles;

Plus de services : dans la plupart des communautés, les services bilingues continueront d’être assurés peu importe le nombre de personnes en situation linguistique minoritaire par rapport à la population générale;

Plus de vitalité : si une communauté possède une école de langue minoritaire, elle aura alors accès à des services en langues officielles quels que soient les nombres de la minorité;

Plus d’accès à la technologie : les deux langues seront automatiquement utilisées dans les services offerts au public par voie de vidéoconférence;

Plus de services dans les transports : tous les aéroports et les gares des capitales provinciales seront désormais désignés bilingues;

Plus d’organismes : la Banque de développement du Canada, les organismes de développement régional, Service Canada et les bureaux de passeports sont ajoutés à la liste des services qui ont une incidence importante sur la vitalité des communautés;

Plus de consultations : le choix du bureau bilingue sera effectué dans le cadre des avis obtenus dans le cadre d’une consultation communautaire;

Plus d’analyse : le Règlement sera révisé tous les dix ans pour déterminer s’il répond toujours aux besoins du public.

(1) Tiré du site internet du gouvernement du Canada.

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Chronologie d’un règlement sur les langues officielles

Quelques dates clés au sujet du Règlement sur les langues officielles – Communications avec le public et prestation des services :

Juillet 1988 : ajout de la partie IV de la Loi sur les langues officielles – Communications avec le public et prestation des services.

Décembre 1991 : adoption du Règlement sur les langues officielles – Communications avec le public et prestation des services, qui précise les modalités d’application de la partie IV de la Loi.

Novembre 2016 : Scott Brison, alors président du Conseil du Trésor, et Mélanie Joly, alors ministre fédérale du Patrimoine canadien, s’engagent à une refonte du Règlement de 1991.

Octobre 2018 : après une période de consultations, un avant-projet de Règlement modifiant le Règlement sur les langues officielles – Communications avec le public et prestation des services est annoncé par la ministre Mélanie Joly.

Juin 2019 : enregistrement du Règlement modifiant le Règlement sur les langues officielles – Communications avec le public et prestation des services.

Juillet 2019 : publication du Règlement dans la Gazette du Canada.

De 2019 à 2023 : mise en oeuvre graduelle du nouveau Règlement, en se basant notamment sur les données du recensement de 2021. C’est le Centre d’excellence en langues officielles du Conseil du Trésor qui la pilotera.