Janaína Nazzari Gomes est brésilienne et se sent aujourd’hui pleinement francophone. La langue fait partie de son identité. C’est aussi son sujet de thèse. Pour la doctorante, toutes les versions de la langue française et tous les accents du monde devraient être mis en valeur.

Par Mathilde ERRARD

Janaína Nazzari Gomes est assise sur les marches de l’entrée principale de l’Université de Saint-Boniface. La trentenaire y est actuellement chercheuse.

L’histoire entre cette femme et le français ne commence pas sur les bancs d’une école, mais en musique, lorsqu’elle était enfant. Sa mère, professeure de portugais aujourd’hui à la retraite, possédait une collection de vinyles en français. Janaína Nazzari Gomes se souvient : « Yves Montand, Charles Aznavour et Jordy. Disons que ça m’a permis d’habituer mes oreilles à cette langue. »

À 13 ans, elle a pris des cours de français pendant un an. Mais ce n’est qu’à l’université qu’elle a poursuivi son apprentissage de la langue de Molière. Malgré ce délai de quelques années entre ses débuts et son perfectionnement, l’intérêt de cette Brésilienne pour le français n’a pas diminué. Pas si étonnant, puisque le Brésil est un pays francophile (voir encadré).

De plus en plus, Janaína Nazzari Gomes s’intéresse à la diversité de la langue française. Aujourd’hui, c’est son sujet de thèse, qu’elle soutiendra l’an prochain.

Elle explique : « Je suis partie de ce constat : la diversité des accents et des manières de parler le français n’est, le plus souvent, pas valorisée dans l’enseignement. En général, on voit le français de France comme le français international. Mais en réalité, le français international serait plutôt composé de différents accents.

« C’est comme si on voulait les gommer. Regardons par exemple le règlement de l’Académie française. Un des articles indique notamment que sa mission est de rendre la langue française pure. Qu’est-ce que ça veut dire, pure? »

Dans sa thèse, l’étudiante s’appuie sur les travaux de linguistes. « Ils ont analysé cette illusion de la pureté de la langue française, comme Annette Boudreau, professeure à Moncton et auteure de À l’ombre de la langue légitime, ou encore Henri Meschonnic, linguiste qui a publié en 1997 une critique du mythe de la langue française. »

Au Brésil, ce mythe est particulièrement palpable. « Le français y est vu comme une langue chic. Quand tu dis que tu es professeur d’anglais, on te répond : Oh, c’est cool! Pareil pour l’espagnol, par exemple. Mais quand tu annonces que tu es professeur de français, c’est : Waouh! C’est lié à un imaginaire positif du français. Les gens vont penser à l’élégance, à l’héritage littéraire français ou encore à la Tour Eiffel. »

| Insécurité

Selon la doctorante, une des conséquences de cette vision partielle de la langue française est l’insécurité linguistique. Elle s’appuie sur sa propre expérience, en tant qu’étudiante à l’Université fédérale du Rio Grande Do Sul à Porto Alègre.

« Le français n’est pas ma langue maternelle et mes professeurs, qui avaient étudié en France, m’arrêtaient dans mes phrases pratiquement à chaque mauvaise conjugaison. Alors je ne me sentais pas à l’aise, j’hésitais beaucoup. Je tournais ma phrase 3 000 fois dans ma tête avant de parler. »

La jeune femme a constaté ce phénomène d’insécurité linguistique principalement dans les régions où le français est minoritaire ou langue étrangère.

Pendant ses études, Janaína Nazzari Gomes a elle-même donné des cours de français à des enfants, mais sans reproduire le schéma qu’elle vivait à l’université mot dans un français parfait. Bien sûr, je les corrigeais et je les évaluais, mais j’autorisais la singularité. Il faut accepter chaque façon de s’exprimer. On ne pourra jamais gommer une langue maternelle. » Pour elle, la solution est aussi de sensibiliser les élèves à tous les types de français.

Aujourd’hui, Janaína Nazzari Gomes se sent pleinement francophone. C’est au Canada, à Moncton, que le déclic s’est opéré. En 2010, elle avait fait le déplacement dans cette ville avec le Centre de la francophonie des Amériques (CFA), dont elle était membre. Elle déclare, avec une certaine détermination dans la voix : « C’est là-bas que je suis née francophone, que désormais le français n’a plus été une langue étrangère pour moi. »

La jeune femme y a rencontré une soixantaine de jeunes francophones venus des quatre coins du monde. « Je découvrais une certaine diversité. Et d’un coup, j’ai réalisé que je n’étais plus seule et que j’avais le droit de parler français à ma manière. Avoir un accent était un atout. » Depuis 2013, Janaína Nazzari Gomes est membre du Conseil d’administration du CFA.

Cette même année dans la ville de Québec, un autre moment a marqué une étape importante dans son apprentissage du français. Elle raconte, enthousiaste : « Pendant le concert de Grand Corps Malade, j’ai compris toutes ses impros de slam et ses jeux de mots. Je n’avais plus besoin de réfléchir. J’étais dans la langue! J’avais développé une identité. À ce moment-là, je me suis véritablement sentie francophone. »

Le Brésil, pays francophile :

Le Brésil compte plus de 617 000 francophones sur un total de 206 millions de résidents, soit moins de 1 % de la population et 148 500 apprenants français.

Ces chiffres sont tirés d’une étude d’Étienne Rivard, professeur adjoint en géographie à l’Université de Saint-Boniface, datée de 2016 et basés sur les données de la Banque mondiale (1). à 15 % des étudiants brésiliens à l’étranger étaient inscrits dans une université francophone en 2010. La France est la deuxième destination choisie pour faire des études à l’étranger, après les États-Unis.

(1) Espace francophone des Amériques, portrait dynamique et géographie d’une francophonie plurielle, par Étienne Rivard, 2016.