Par Sophie GAULIN

C’est une onde de choc qui a traversé la sphère médiatique le 19 août dernier. Le Groupe Capitales Médias (GCM), société éditrice de 6 grands quotidiens de langue française au pays, Le Droit, Le Soleil, Le Nouvelliste, La Tribune, Le Quotidien et La Voix de l’Est a dû être placé sous respirateur artificiel le temps de trouver un investisseur généreux aux poches profondes. Avec un peu de chance le philanthrope sera un amoureux d’une mission journalistique libre et indépendante et surtout désireux de garantir une pluralité d’angles éditoriaux. Excluons tout de suite Pierre Karl Péladeau, patron de Québécor de cette définition.

Pour éviter la fermeture de ses journaux, le groupe de presse GCM est parvenu à obtenir un prêt d’urgence de 5 millions $ d’Investissement Québec, disponible jusqu’au 31 décembre 2019. En contrepartie le président et propriétaire de GCM depuis 2015, Martin Cauchon, a dû remettre sa démission et le groupe doit désormais entamer une restructuration. Mais voilà, il reste quatre mois (sinon moins) aux décideurs politiques et aux médias en question pour trouver LA solution miracle qui parviendrait à inverser la tendance qui fait des lecteurs de simples consommateurs. Car c’est bien ainsi que les lecteurs sont désormais décrits et traités comme des consommateurs de nouvelles, des consommateurs d’information, qui passent indifféremment d’un média à un autre et qui n’estiment pas, ou ne comprennent pas le coût de production de ce qu’ils lisent.

La dimension d’engagement des lecteurs est bien absente de cette équation. Alors qu’on se le dise : on ne consomme pas des nouvelles, de l’information, des analyses et des critiques comme on consomme du yogourt.

Derrière un journal, il y a un lecteur, une lectrice avec lesquels le journal a réussi à tisser un lien de confiance réciproque, peu importe la plateforme de diffusion, qu’elle soit papier ou numérique. Dans le cas du journal Le Droit, seul quotidien de langue française en Ontario né dans des conditions très semblables à La Liberté chez nous, ce lien existe depuis 1913. Le journal a contribué à sauver des institutions francophones comme l’Hôpital Montfort et continue de donner une voix aux francophones en Ontario alors qu’ils sont aux prises avec une crise linguistique depuis l’automne dernier.

Malgré les défis financiers auxquels il fait face, Le Droit a décidé de miser sur la qualité journalistique et de continuer à faire sa part pour honorer le lien qu’il a avec ses lecteurs.

Ce lien de confiance renaît à chaque fois que les journalistes préfèrent la vérité au pouvoir, et que les lecteurs acceptent d’en témoigner leur appréciation en payant leur journal et en contribuant au débat public en écrivant des lettres à la rédaction. C’est cette confiance tissée au fil des années qui est en danger aujourd’hui lorsque l’on traite les lecteurs et lectrices de simples consommateurs et qu’on oublie de leur rappeler leurs responsabilités de payer pour s’informer et d’écrire pour se faire entendre. L’information sérieuse, crédible et fiable a un coût. Dans une société où le citoyen est valorisé, on devrait voir l’information comme un service public. Rien de moins. Et sur tout pas comme un bien de consommation. Et ce, au même titre que la santé et l’éducation.

C’est en ce sens que les gouvernements ne peuvent plus ignorer leurs obligations. On ne peut plus passer sous silence l’apathie des gouvernements devant les géants du Web qui ponctionnent le contenu original des salles de nouvelles. Les métiers du journalisme doivent faire partie d’un contrat moral et social entre les lecteurs, les annonceurs, les gouvernements et les éditeurs.

Chacun doit faire sa part pour assurer une pluralité de points de vue, de critiques, de recherches, d’analyses afin que chaque partie prenante puisse continuer d’alimenter le lien de confiance qui DOIT exister pour vivre dans un pays qui valorise ses citoyens et qui cesse de les considérer comme de simples consommateurs quand il s’agit d’éducation, de santé et de médias.

Et s’il vous plaît, que l’on cesse de demander aux journaux de repenser leur modèle d’affaires alors que les géants comme Google, Facebook, et autres sont avantagés sur le plan fiscal!

Que l’on cesse de parler de transition numérique des journaux alors qu’elle profite encore et toujours à ces mêmes géants! Commençons par exiger de nos décideurs politiques un minimum d’engagement pour que les géants payent leur juste part. Et dans la même logique, révisons les législations canadiennes en matière de droits d’auteur.

Les lecteurs doivent à leur tour se faire entendre. En Ontario, les francophones sont restés aphones devant la possibilité de fermeture d’une institution comme Le Droit. Le silence n’est pas une option. Disons-le, les Doug Ford de ce monde se réjouissent de notre indifférence.