Le milieu médiatique francophone est bouleversé depuis que le Groupe Capitales Médias a demandé, le 19 aout, une protection juridique contre ses créanciers. Un sens d’urgence aurait émergé lors d’audiences publiques à Québec : le besoin d’agir avant qu’il ne soit trop tard pour la presse locale et régionale. La menace pèse sur les Franco-Ontariens.

 

Par Jean-Pierre DUBÉ (Francopresse)

 

Pour les six quotidiens du Groupe, l’avenir dépend des gouvernements. Le gouvernement du Québec a consenti un prêt d’urgence de cinq-millions et nommé un président intérimaire pour gérer le processus d’achat ou de restructuration. Toutefois, le soutien de Québec devra attendre les conclusions d’une récente commission parlementaire.

Pour sa part, le cadre d’une aide annoncée par Ottawa pourrait ne pas survenir avant le scrutin du 21 octobre. L’appel aux urnes pourrait être lancé incessamment.

Le président et éditeur du Droit, Pierre-Paul Noreau, sonne l’alarme. « J’aimerais que le fédéral, qui a octroyé 595 millions dans le budget, adopte rapidement sa règlementation.» Si c’était fait avant les élections, estime-t-il, « le Groupe deviendrait plus intéressant à acheter. Le fédéral a tout en main pour règlementer et nous faciliter la vie. Il ne reste pas grand temps et ça m’inquiète. »

 

Pas de vente sans connaitre les mesures d’aide

« Je ne crois pas qu’une vente du Groupe puisse se faire sans savoir quelles seront les mesures d’aide du Québec, résume Pierre-Paul Noreau. On ne saura pas avant la fin octobre quel sera le soutien. »

La commission parlementaire d’une semaine, tenue fin aout à Québec, a reçu une trentaine d’organismes soucieux de l’avenir des médias. Durant les travaux, le principal défi de la presse s’est clarifié : ce n’est pas une question de dépenses hors de contrôle, mais de revenus en chute libre.

Cette baisse est attribuée au choix des administrations publiques et de grandes entreprises d’augmenter leur part de pub numérique — on serait à 80 % — auprès des géants du web, question de renforcer leur pouvoir d’influence.

Paradoxalement, les GAFA (Google, Apple, Facebook et Amazon) s’alimenteraient gratuitement en contenus d’actualités auprès des médias locaux et régionaux, les grands perdants sur les deux fronts. Ces derniers sont au pied du mur : soit ils ferment les portes, vendent au rabais ou obtiennent un soutien public.

 

Un écosystème médiatique dans un état critique

La couverture locale préoccupe Colette Brin, directrice du Centre d’études sur les médias de l’Université Laval. « La perte de diversité des voix a des conséquences bien réelles sur l’écosystème médiatique, a-t-elle déclaré devant la commission, et plus globalement sur le dynamisme social, économique et politique d’une ville ou d’une région. »

Le Centre reconnait le défi des transferts de revenus vers le numérique, mais il avance un autre facteur. « Depuis 20 ans, note la directrice, la plupart des médias nous ont habitués à consommer leurs contenus gratuitement. Il est maintenant difficile de convaincre les consommateurs de contribuer à l’information en ligne. »

Une intervention de l’État s’impose, selon Colette Brin, pour que l’information de qualité demeure accessible à tous. Elle estime que ce domaine est un bien public.

« Notre écosystème médiatique, tous le reconnaissent, est dans un état critique. Ce que l’État fait pour la culture, la santé et l’éducation, il doit le faire aussi pour l’information, avec des programmes accessibles tant aux médias traditionnels qu’aux nouveaux joueurs et reposant sur des critères transparents et équitables. »

 

Un risque d’emmener Le Droit au Québec

L’éditeur du Droit reconnait la nature globale du problème. « Ça s’applique à l’ensemble du milieu médiatique : tout le monde est vulnérable, même La Presse et Le Devoir. Québec veut que le Groupe et chacun de ses membres survivent. À partir de là, il est certainement plus facile de trouver une solution commune que pour chacune des parties. »

Pierre-Paul Noreau reconnait les écueils d’une vente du GCM, en particulier pour les Franco-Ontariens. Il dit avoir rencontré des membres de la communauté, fin aout.

« Je ne leur ai pas caché que, s’il y a des fonds publics et un repreneur québécois, il y a un risque qu’on ait envie d’emmener le quotidien au Québec. Je suis convaincu que le journal doit rester en Ontario pour garder une proximité avec les Franco-Ontariens. Leur soutien est important. C’est fondamental, c’est l’histoire du Droit. »

Si le quotidien s’installait de l’autre côté de la frontière, à Gatineau, qu’adviendrait-il du lien entre les deux clientèles? L’éditeur pose la question : « Est-ce que les Franco-Ontariens voudraient avoir leur propre journal? Comment est-ce qu’on peut ancrer ça pour qu’il y ait une valeur ajoutée de rester en Ontario? Il n’y a pas de garantie. »

 

Cinq solutions auraient fait consensus à Québec

Lors des travaux de la commission à Québec, cinq idées auraient fait consensus : un crédit d’impôt sur la masse salariale, une obligation des villes à publier leurs avis publics, une taxe sur les revenus des GAFA, la création d’une régie de la publicité et d’un fonds d’aide aux médias.

Patrimoine canadien reconnait l’ampleur de la crise. « Des milliers d’emplois sont à risque et notre démocratie est en jeu », affirme Simon Ross, l’attaché de presse du ministre Pablo Rodriguez. Il rappelle les investissements de 600 millions pour appuyer le journalisme indépendant et de 50 millions « pour les petites communautés ».

« On s’attaque aussi au problème de fond, écrit-il, la place des géants du web dans notre culture. On modernise nos lois avec un objectif clair : si tu profites de notre système, tu contribues. Fini les passe-droits. »

Il reste à savoir si la règlementation de l’aide d’Ottawa sera mise en œuvre avant les élections fédérales. Aucun des deux ministères responsables, Patrimoine canadien et Langues officielles, n’a répondu à la question.