Il y a du mouvement du côté des droits d’auteur. La loi fédérale sur le droit d’auteur de 2012 a été examinée par deux comités à la Chambre des communes du Canada en mai et juin. Les élections fédérales approchant, c’est l’occasion de faire un tour d’horizon du droit d’auteur et de mieux en comprendre les enjeux pour les Canadiens, qu’ils soient utilisateurs ou créateurs. L’ère du numérique a bouleversé les droits d’auteurs depuis deux décennies. Entretien avec Frédérique Couette, avocate spécialiste des droits d’auteur et Laurent Dubois, directeur général de l’Union des écrivaines et des écrivains québécois (1).
Par Mathilde ERRARD
Le Comité permanent de l’Industrie, des Sciences et de la Technologie et celui du Patrimoine canadien, ont procédé à une revue de la Loi sur la modernisation du droit d’auteur. Modifiée en 2012, elle doit être examinée tous les cinq ans. C’est inscrit dans le texte. Après un an de travail, les comités ont rendu leurs rapports en mai et en juin, avec leurs recommandations.
Cependant, les élections fédérales approchant, ce dossier ne sera pas traité par le gouvernement actuel. Guy Jourdain, le directeur général de l’Association des juristes d’expression française du Manitoba (AJEFM), rappelle que « les deux chambres du Parlement ne siègent pas pendant l’été et reprendront leurs travaux seulement après les élections d’octobre. Aucune mesure législative ne pourra donc être amorcée à court terme ». Par contre, ajoute-t-il, « les divers partis pourront prendre des engagements sur ce dossier pendant la campagne électorale ».
Les organismes, syndicats et associations, représentant les auteur(e)s et autres créateurs, espéraient que le gouvernement prenne une décision rapidement. En effet, selon eux, la loi fédérale de 2012 sur le droit d’auteur s’éloigne de plus en plus de sa mission première : protéger les auteur(e)s. Aujourd’hui, elle favorise davantage les utilisateurs.
À quoi sert la Loi sur la modernisation du droit d’auteur?
Laurent Dubois : C’est tout d’abord un droit moral. L’auteur peut dire s’il est d’accord ou non qu’on utilise son oeuvre. Le droit d’auteur, c’est aussi la rémunération de l’artiste pour l’utilisation de son oeuvre.
Frédérique Couette : Ce droit se décompose en plusieurs particularités : le droit d’adaptation en film ou en pièce de théâtre d’une oeuvre, le droit de publication, de traduction ou encore de reproduction.
Un auteur peut être un écrivain de fiction, un chercheur qui publie un article scientifique, un photographe ou encore un créateur de bijoux. C’est très large.
La Loi sur la modernisation du droit d’auteur a été réexaminée par deux comités. Leurs recommandations sont sorties en mai et juin…
L. D. : Leurs rapports sont très différents. D’un côté le comité du Patrimoine canadien a pris le temps de nous écouter et leurs propositions sont concrètes : sensibiliser les utilisateurs à la rémunération des artistes ou encore augmenter les efforts contre le piratage.
De l’autre côté, le rapport du comité de l’Industrie, des Sciences et de la Technologie est un statu quo. Il ne s’est pas vraiment penché sur la question et repousse à plus tard une véritable réforme. C’est cosmétique. Si on suit ses recommandations, les conditions des auteurs vont donc continuer à se dégrader.
Difficile de vivre de son art à l’ère du numérique… A-t-on des chiffres?
L. D. : L’Union des écrivaines et des écrivains québécois a réalisé un sondage en 2018, en se basant sur les revenus datant de 2017 de ses membres. Il en est ressorti que le revenu médian tiré des droits d’auteur, au Québec, est d’un peu moins de 3 000 $ par an.
En 2018, la Writers’ Union of Canada a dévoilé les résultats d’un sondage mené auprès de 1 499 écrivains canadiens. La majorité vit en Ontario et en Colombie-Britannique. Ces écrivains ont vu leurs revenus provenant de l’écriture fondre de 27 % au cours des trois dernières années et de 78 % au cours des 20 dernières années.
En 2012, la Loi sur le droit d’auteur a été revue en profondeur. Mais en réalité, les auteurs sont moins protégés, et les utilisateurs, favorisés…
L. D. : La mission première de cette loi est de protéger les artistes et leurs oeuvres. Avant 2012 et encore avant l’arrivée du numérique, le droit des utilisateurs n’existait pas vraiment. Il a été ajouté dans la modernisation.
Maintenant, le droit d’auteur est petit à petit grignoté par le droit des utilisateurs.
Premièrement, les lobbys ont une puissante influence sur le gouvernement et défendent l’idée de la liberté d’accessibilité.
Deuxièmement, pour l’opinion publique, c’est le fun que tout soit gratuit sur Internet, en accès libre. Moi aussi, j’aimerais bien rentrer dans mon café tous les matins et me servir sans payer. Mais dans trois ou quatre mois, je peux être sûr que le propriétaire mettra la clé sous la porte.
Oui, il faut évoluer avec les nouvelles technologies, mais la gratuité et le libre accès sur Internet ne doivent pas être la règle. Il n’y aura plus de production artistique de qualité si les auteurs n’ont plus les moyens financiers de créer.
La situation des auteurs s’est détériorée…
L. D. : Le problème principal, ce sont les exceptions ajoutées dans la loi. Chacune est l’occasion de ne pas payer de droits d’auteur. Plus il y a d’exceptions, plus les utilisateurs peuvent bénéficier ou reproduire une oeuvre sans avoir à demander d’autorisation à l’auteur, ni à le payer. Conséquence : moins de revenus pour l’auteur. Dans tous les cas, il faut que la règle de base reste : Si je veux utiliser ou reproduire une oeuvre, il me faut avoir une autorisation de l’auteur et lui payer des redevances.
F. C. : La loi comportait déjà des exceptions avant 2012, mais là, il y en a trop. C’est une sorte de gruyère aujourd’hui. Autre exemple qui prouve que les auteurs sont moins protégés : avant la modernisation de la loi, un auteur pouvait recevoir de 500 $ à 20 000 $ si son oeuvre avait été piratée à des fins commerciales ou non commerciales.
Depuis 2012, un auteur ne peut recevoir que 5 000 $ de dédommagement au maximum, et seulement si son oeuvre a été violée à des fins commerciales. Ce n’est pas dissuasif, et ça ne suffit même pas à couvrir les frais d’avocat!
Comment mieux protéger les auteurs?
F. C. : La loi doit être plus forte. En 2012, des mesures pour protéger les auteurs sur Internet ont été ajoutées. Mais elles sont limitées.
Il faudrait par exemple mieux protéger les auteurs contre le piratage. Mettre en ligne une oeuvre complète d’un auteur, accessible et gratuite pour tous, c’est illégal. Alors les députés ont ajouté en 2012 une disposition dans la loi, qui permet maintenant aux auteurs d’envoyer une demande de retrait à la première personne qui a mis en ligne l’oeuvre illégalement.
Mais c’est juste un avis. Il n’y a aucune obligation de retrait. L’auteur ne peut compter que sur la bonne volonté de la personne.
De plus, lorsqu’une oeuvre est mise à disposition une première fois gratuitement, elle est ensuite potentiellement reproduite sur d’autres sites. Sa multiplication peut être rapide et infinie. Impossible pour l’auteur de courir après chaque violation de son oeuvre.
L. D. : Les députés doivent supprimer toutes les exceptions. Une exception doit rester exceptionnelle.
Ensuite, il faut frapper là où il y a de l’argent, notamment dans les grands groupes comme Youtube, Amazon, Google ou encore Apple. Ils doivent être responsabilisés et s’assurer que les contenus publiés sur leurs plateformes respectent les droits des auteurs, à la fois en termes d’autorisation et de rémunération.
Aujourd’hui, ces grands groupes se dédouanent du problème en disant qu’ils sont « juste des hébergeurs ». Mais ils gagnent de l’argent sur ces contenus. Ils en sont donc responsables. Sur ce point, la directive européenne sur le droit d’auteur adoptée en mars, va dans la bonne direction. Au lieu d’attendre les dégâts, elle protège sur Internet, en amont, les personnes qui possèdent un droit d’auteur.
En résumé, au Canada, les technologies vont plus vite que la loi. Mais celle-ci ne devrait pas seulement régler des problèmes, elle devrait les anticiper. Il faut qu’elle ait une longueur d’avance sur les nouvelles technologies.
(1) L’UNEQ est un syndicat professionnel qui représente les écrivains.