Louis-Philippe Roy, chercheur yukonnais spécialisé dans l’étude du pergélisol pour Northern Climate ExChange du Collège du Yukon, s’est joint à une équipe internationale en avril dernier. Son objectif : étudier la situation du pergélisol sur les côtes de l’île Herschel, dans le Grand Nord du Yukon, et l’impact de ses variations sur l’environnement.

 

Par Maryne DUMAINE (L’Aurore boréale)

 

Louis-Philippe Roy se dresse au bord de l’océan Arctique, à l’extrême nord du Yukon, plus précisément sur la côte de Qikiqtaruk ou l’île Herschel. Là où certains ne voient qu’une étendue de glace et de neige, lui sait que le sol situé en dessous de lui est instable et qu’il dégèle à une vitesse préoccupante.

Chercheur en pergélisol au Northern Climate ExChange du Collège du Yukon, Louis-Philippe Roy étudie les sols gelés depuis 2012. Il a acquis une grande expérience dans les méthodes de recherche sur terrains complexes, notamment par climat froid. Son expertise se situe tout particulièrement sur les méthodes de forage de pergélisol pour l’échantillonnage.

Âgé de 30 ans, il a déjà à son actif des expéditions effectuées en Alaska, au Nunavut, dans les Territoires du Nord-Ouest et au Yukon. Originaire de Montréal, il a élu domicile à Whitehorse à la suite d’une visite estivale avec sa compagne. Comme beaucoup de Yukonnais, les grandes étendues et les occasions de profiter du plein air ont charmé le jeune couple qui a décidé de s’installer ici. « Je venais de terminer une maîtrise en paléogéomorphologie et palynologie », explique-t-il.

Récemment, il a fait partie du projet Nunataryuk. Il s’agissait de l’étape d’échantillonnage d’un projet quinquennal visant à déterminer les effets du dégel du pergélisol côtier et sous-marin sur le climat mondial.

 

Le projet Nunataryuk

Louis-Philippe Roy et les autres membres de l’équipe ont passé plusieurs semaines à rassembler des échantillons de sol, de flore, de faune et de pergélisol dans l’écosystème côtier vulnérable de l’île Herschel. Un peu plus d’une demi-tonne d’équipement et d’engins de chantier ont été expédiés un mois avant l’arrivée de l’équipe et ont parcouru l’océan Atlantique depuis Potsdam (Allemagne) jusqu’à Inuvik (Territoires du Nord-Ouest), en passant par la route Dempster au Yukon.

Même si le lieu de l’étude paraît extrêmement isolé, selon le chercheur yukonnais, il s’agissait pourtant d’un site relativement accessible. « Nous avons la chance d’avoir la route qui monte jusque dans le Grand Nord. Ce n’est pas partout le cas dans les études qui concernent l’Arctique », explique-t-il.

 

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Nunataryuk est un projet composé de 26 partenaires internationaux, principalement des établissements d’enseignement postsecondaire, dont l’Université Laval. Nunataryuk vise à déterminer les impacts du dégel du pergélisol côtier et sous-marin sur le climat mondial et à élaborer des stratégies d’adaptation et d’atténuation ciblées et conçues conjointement avec la population côtière de l’Arctique.

George Tanski de la Vrije Universiteit Amsterdam, Andreas Richter de l’Université de Vienne, Juliane Wolter, Hugues Lantuit et Jan Kahl de l’Institut Alfred Wegener du Centre Helmholtz de recherche polaire et marine (dans le nord de l’Allemagne), et Joëlle Voglimacci-Stéphanopoli et Vincent Sasseville de l’Université de Sherbrooke se sont unis pour créer un ensemble diversifié d’agendas de recherche et de méthodes de terrain pour le projet.

« Faire des recherches dans des endroits aussi reculés que Qikiqtaruk et le reste du Nord nécessite une planification logistique massive », explique M. Roy. De la réparation de matériel en panne à -30 °C au retard de plusieurs semaines en raison des conditions météorologiques et des conditions de vol, en passant par des rendez-vous manqués avec la faune, le jeune expert en a déjà vu de toutes les couleurs. « En tant que chercheur dans le Nord, vous devez être prêt à tout. Les conditions et les plans changent tout le temps, il faut être adaptable et préparé, ce voyage n’a pas fait exception à la règle », a-t-il déclaré.

« C’était fantastique de bénéficier de l’expérience du Collège du Yukon. Nous avons fait bien plus que ce que nous aurions obtenu sans la présence de Louis-Philippe », a déclaré le Dr Hugues Lantuit. « Nous pouvons maintenant commencer à comprendre comment le pergélisol change du sud au nord du Yukon. » L’équipe profitait également de l’expérience du surveillant de la faune, Peter Archie d’Aklavik (Territoires du Nord-Ouest).

 

Les impacts d’une telle recherche

« Nous pouvons en apprendre beaucoup sur les conditions climatiques du passé en étudiant notre sol gelé, et j’avais hâte d’étudier l’île Herschel. La température du sol du pergélisol est un bon indicateur de l’évolution du climat dans différentes régions. Je travaille au Yukon depuis 2012 et j’ai déjà été témoin de nombreux changements dans le paysage et l’environnement. Il y a des sites que nous visitons depuis cinq ou six ans maintenant et nous pouvons constater, même pendant cette courte période, de nombreux changements liés à la dégradation du pergélisol », a déclaré M. Roy.

« Qikiqtaruk est un endroit vraiment unique. Loin de la civilisation et aux confins du monde à certains égards, il concentre une richesse inuvialuite et une histoire culturelle récente. C’est un privilège de rester là et de contempler ces deux dimensions alors que nous travaillons sur le pergélisol », a quant à lui déclaré le Dr George Tanski.

Le dégel du pergélisol pourrait avoir un impact sur la santé humaine par la libération de contaminants tels que le carbone et le mercure, par des infections, ainsi que par des impacts sur la sécurité alimentaire et hydrique des zones côtières de l’Arctique, entraînant des répercussions sanitaires et socio-économiques. Les échantillons recueillis sur Qikiqtaruk feront maintenant l’objet d’une analyse approfondie. L’équipe espère quantifier le dégel du pergélisol et son impact sur le stockage et la vulnérabilité de la matière organique et des contaminants dans le sol, tout en déterminant la vulnérabilité des infrastructures existantes. Les résultats seront ensuite disponibles pour l’équipe de recherche du Yukon, mais aussi pour le grand public.

Pour les impacts spécifiques concernant le Yukon, M. Roy est enthousiaste. « Nous n’avions pas encore de données concernant ce territoire, selon moi, c’est toujours positif d’avoir plus d’information! »