Une semaine avant le lancement des élections fédérales, la ministre Mélanie Joly a signé devant public un nouveau protocole d’entente sur les langues officielles dans l’enseignement. Mais la libérale n’a pas distribué des copies à ses invités ni diffusé le document. Pour cause : le texte est confidentiel en attendant le parafe des provinces et territoires. À quoi rime l’évènement?

 

Par Jean-Pierre DUBÉ (Francopresse)

 

Une quinzaine de représentants d’organismes ont assisté à l’annonce du 4 septembre à l’école Louise-Arbour d’Ottawa. Certains ont qualifié d’historique le nouvel accord du Programme des langues officielles dans l’enseignement (PLOE).

« Le Canada et les provinces et territoires se sont entendus sur le texte d’un nouveau protocole d’entente pour soutenir l’enseignement en français dans les communautés en situation minoritaire, précise le communiqué de Patrimoine canadien (PCH), et l’enseignement de la langue seconde pour la période de 2019-2020 à 2022-2023. »

Au plan financier, les chiffres du ministère confirment une enveloppe d’un milliard sur quatre ans jusqu’à 2023. C’est dans la continuité du plafonnement des protocoles depuis 2003, à quelque 1,3 milliard pour chaque entente quinquennale. L’année 2018-2019 aurait fait l’objet d’une entente ponctuelle.

 

Une entente pas encore signée

Les intervenants en éducation n’ont pas été en mesure de citer les détails de l’entente, et le Service de relations avec les médias du ministère explique pourquoi. « Le nouveau protocole sera rendu public une fois ratifié par tous les signataires, d’après la porte-parole Martine Courage. En attendant, vous pouvez consulter le protocole précédent. »

Même réponse au Conseil des ministres de l’Éducation (Canada), l’intermédiaire entre les trois niveaux de gouvernement. « Les provinces et territoires font actuellement les démarches internes pour faire approuver et signer le protocole », précise Colin Bailey, le directeur des communications. Le processus pourrait s’étendre sur « plusieurs semaines ».

 

« Ça sent pas mal les élections fédérales »

« Si j’étais un conseil scolaire, remarque le politologue Rémi Léger, je me dirais : c’est un peu plate, ça sent pas mal les élections. Légalement, il n’y a pas de problème; éthiquement, on est à quelques jours du lancement de la campagne et le fédéral a fait beaucoup d’annonces. On aurait aimé que ça sorte plus tôt. »

Mais le temps pressait, selon le chercheur de l’Université Simon Fraser. « Ça fait 18 mois qu’on attend l’argent. Si l’annonce n’était pas faite avant la campagne, ça nous poussait jusqu’à 2020. » Entretemps, dit-il, certains conseils scolaires subiraient des difficultés financières.

Le politologue conteste l’officialisation du pacte sans la ratification des partenaires. « Le plus étonnant, c’est que la ministre puisse annoncer un nouveau protocole même si elle est la seule à l’avoir signé. Elle a dit qu’elle n’est pas préoccupée que les provinces et territoires ne l’aient pas encore fait, que c’est juste une question de temps. »

Une fois le processus complété, l’entente-cadre sera disponible sur le site de PCH, selon la directrice générale de la Fédération nationale des conseils scolaires francophones, Valérie Morand, présente à l’évènement ministériel. « Nous pourrons donc avoir tous les détails et la FNCSF sera en mesure de répondre aux questions. »

 

« Une nouvelle ère de coopération »

Rémi Léger signale que les négociations avec certaines provinces auraient été difficiles, en raison de nouvelles conditions avancées par le fédéral.

PCH confirme la démarcation entre le nouveau cadre et les précédents : « Il démontre un engagement des gouvernements pour une consultation et une collaboration accrue avec les intervenants en éducation et une plus grande transparence dans la reddition de comptes. »

Selon la FNCSF, l’annonce marque « une nouvelle ère de coopération ». Le protocole reconnaitrait le rôle des intervenants, dont les conseils scolaires, dans la livraison des services éducatifs en français. « L’entente est assortie d’un engagement des gouvernements de consulter les conseils scolaires pour l’élaboration de leur plan d’action. »

En 2016, des organismes francophones avaient pressé le fédéral à adopter un protocole additionnel tripartite, entre le ministère, le CMEC et la FNCSF. Cette approche aurait permis de retirer l’éducation française de la tutelle des autres juridictions et d’en accorder la gouvernance à la minorité. Mais les provinces et territoires n’avaient pas cédé.

 

« On a mis pas mal d’eau dans notre vin »

« Patrimoine canadien a mis une croix sur l’entente tripartite, rappelle Rémi Léger. Mais il s’était engagé à défendre les intérêts des conseils scolaires francophones à la table des négociations. La FNCSF faisait confiance que le ministère allait relayer ses inquiétudes. Déjà, on avait mis pas mal d’eau dans notre vin. »

« Presque deux ans plus tard, on ne sait pas comment la reddition de comptes sera formulée. Je n’ai pas vu le document, regrette le chercheur. Mais ça a été présenté comme la grande victoire du protocole. »