Depuis 1970, l’organisme Portage Atlantique soutient les jeunes de 14 à 21 ans qui présentent une dépendance à des substances toxiques, comme les drogues et les stupéfiants. Des quelque 500 personnes qui passent chaque année par le centre de Cassidy Lake, au Nouveau-Brunswick, 88 % présentent une dépendance au cannabis. La venue prochaine des produits de cannabis comestibles n’est donc pas sans inquiéter les intervenants de Portage.

 

Par Ericka MUZZO (La Voix acadienne)

 

« Le but de vendre ces produits, c’est entre autres de minimiser les effets de la consommation de fumée. Par contre, ça va faire en sorte que les produits comestibles vont devenir de plus en plus familiers au public, et je trouve qu’il y a encore beaucoup d’éducation à faire à ce sujet avant que ça n’arrive », souligne Luc Desjardins, chef de service à Portage Atlantique.

 

Surdoses, sécurité et étiquetage

Dans une lettre ouverte envoyée aux médias, le président de Portage, Peter A. Howlett, identifie trois principales sources d’inquiétudes en ce qui a trait aux produits comestibles.

D’abord, les surdoses accidentelles, qui seraient beaucoup plus fréquentes avec les bonbons ou pâtisseries au cannabis qu’avec un joint, par exemple. « Les effets du cannabis se font sentir bien moins rapidement et sont plus imprévisibles, lorsqu’il est ingéré plutôt qu’inhalé, ce qui peut entrainer une surconsommation. Les histoires de surdoses accidentelles qui font parfois les manchettes nous donnent un aperçu des conséquences dramatiques que peut représenter une consommation inadéquate de cannabis comestible ».

 

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Les effets d’une surdose peuvent comprendre une perte de conscience ainsi qu’un état de paranoïa, d’après Luc Desjardins. Cela peut aller aussi loin qu’une psychose, où la personne intoxiquée entendrait des voix et se sentirait déconnectée de la réalité. Dans ce cas, la meilleure chose à faire d’après l’intervenant est d’appeler le 911, de ne pas laisser la personne seule et de s’assurer qu’elle soit en sécurité.

« Il ne faut pas que les jeunes aient peur d’appeler de l’aide, si eux-mêmes ou un ami sont en état de surdose. Il faut établir d’avance avec eux qu’ils ne seront pas dans le trouble s’ils prennent cette décision-là », souligne encore Luc Desjardins.

La deuxième préoccupation de Portage concerne la sécurité des enfants. « Il existe également un danger pour les enfants du fait que certaines pâtisseries et autres friandises contenant du cannabis soient attrayantes, car elles ont la même apparence que certains produits qui n’en contiennent pas », indique la lettre ouverte. À cet effet, Luc Desjardins recommande de bien garder les produits hors de portée des enfants, comme on le ferait pour des médicaments.

Finalement, l’organisme Portage déplore que l’étiquetage des produits soit souvent inexact. « Selon une étude parue en novembre 2017 dans le Journal de l’Association médicale américaine, un tiers des produits contenant du CBD (un des composants actifs du cannabis) était mal étiqueté et indiquait de façon inexacte la teneur réelle en CBD », peut-on lire dans la lettre ouverte.

 

Avoir la bonne information

Mieux vaut prévenir que guérir, et le chef de service Luc Desjardins identifie deux grandes solutions pour anticiper la surconsommation et la dépendance : de commencer l’éducation sur les drogues dès l’école primaire, vers 10 ou 11 ans, et de mieux financer les centres de traitement de la dépendance, comme Portage. « On ne peut pas complètement enrayer la consommation, donc il faut aider ceux qui en ont besoin », indique-t-il.

Il appelle aussi à une conversation plus ouverte au sujet du cannabis et des autres drogues. Plutôt qu’une simple présentation factuelle, Luc Desjardins aimerait voir dans les écoles des discussions entre les élèves et les intervenants. « Plus les ados nous parlent, mieux ils vont savoir gérer les situations quand elles arrivent », défend-il.

Plusieurs des utilisateurs de Portage ont indiqué avoir davantage de facilité à trouver du cannabis que de l’alcool sur le marché noir, ce qui fait dire à Luc Desjardins que si quelqu’un veut consommer, il le fera. Dans cette optique, la meilleure défense est d’informer les jeunes sur les conséquences possibles de la consommation. « Il y a des dommages au cerveau, à la santé mentale, des symptômes de sevrage. Le cannabis a changé depuis 30-40 ans, il faut que les jeunes en prennent conscience. On a beaucoup tendance à minimiser les effets du cannabis », déplore Luc Desjardins.

Finalement, sa plus grande peur est qu’après avoir essayé les produits comestibles en magasin, les consommateurs décident de les faire par eux-mêmes. C’est peut-être là le plus grand risque, comme il est difficile de déterminer la bonne dose et que la surdose devient encore plus probable. « C’est le danger d’ouvrir la porte. Il faut s’assurer que les gens aient les bons outils pour gérer leur consommation », avertit Luc Desjardins.

Il ne se prononce pas pour autant contre la légalisation du cannabis ou des produits comestibles. « Ça allait arriver un jour, il faut être honnêtes et terre-à-terre. Mais il ne faut pas penser que parce que c’est légal, ça n’est pas potentiellement dangereux », conclut-il.