Par Michel LAGACÉ

Les fonctions du Sénat canadien demeurent essentiellement inchangées depuis 1867 : offrir un second regard aux lois adoptées par la Chambre des communes, proposer des amendements au besoin, et représenter les intérêts des régions et des minorités. La semaine dernière, 11 sénateurs ont annoncé qu’ils formeraient un nouveau groupe parlementaire pour mieux représenter les intérêts des régions. Faute de mieux, ils s’appellent le Groupe des sénateurs canadiens (GSC), un titre qui devrait décrire l’ensemble des 105 sénateurs.

Le chef par intérim de ce nouveau groupe, Scott Tannas de l’Alberta, a déclaré qu’une des missions du GSC sera de faire entendre les préoccupations de l’Ouest du pays. Chose curieuse : les 11 sénateurs viennent de toutes les provinces, sauf une. Donc, loin de former un bloc pour représenter les intérêts de l’Alberta, ils se donnent un vague mandat de « représenter nos régions », prétend Josée Werner du Québec. Puisque la raison d’être du Sénat est de permettre aux régions de s’exprimer et de protéger leurs droits, les 94 autres sénateurs manqueraient-ils à un de leurs devoirs fondamentaux?

Le mois dernier, le sénateur André Pratte, ancien éditorialiste en chef de La Presse, annonçait sa démission après seulement trois ans et demi, prétextant vaguement qu’il n’aurait pas « les aptitudes et la motivation nécessaires pour accomplir la tâche » qui lui avait été confiée. Il terminait sa lettre de démission en souhaitant « la modernisation du Sénat, visant à en faire une chambre plus efficace et moins soumise à la discipline de parti ». Les sénateurs « indépendants » seraient-ils moins indépendants que Justin Trudeau ne le prétend? Le Sénat ne retient que peu souvent l’attention de la population. Pourtant avec la Chambre et le monarque, il constitue le Parlement canadien. Depuis 2016, un comité consultatif propose au Premier ministre les nominations au Sénat. Cependant, Justin Trudeau n’a pas encore cherché à formaliser le système qu’il a concocté et, durant la campagne électorale, le chef conservateur Andrew Scheer a soulevé la possibilité de retourner à l’ancien système de nominations partisanes.

Le fonctionnement actuel du Sénat est donc en période d’essai. Il comprend 49 sénateurs « indépendants », 27 conservateurs, neuf libéraux, six sénateurs non affiliés et les 11 sénateurs dit « canadiens », qui ne représentent personne d’autre qu’euxmêmes. Et qui de surcroît ne jouissent pas de la légitimité d’avoir été élus ou même nommés pour constituer un groupe à l’intérieur du Sénat.

Au train où vont les choses, Justin Trudeau serait bien avisé de revoir le bien-fondé du système qu’il a mis en place. Car le danger pour notre démocratie parlementaire, c’est que l’inefficacité du Sénat évoquée par André Pratte ne soit davantage minée par la prolifération de groupes formés au hasard des évènements et des personnalités.