Par Michel LAGACÉ

Les retombées de l’élection fédérale du 21 octobre n’ont pas tardé à se manifester. Devenu chef d’un gouvernement minoritaire, Justin Trudeau s’affaire à recevoir des premiers ministres avec lesquels il n’a pas entretenu de relations étroites. Brian Pallister, qui s’est opposé à presque toutes les initiatives du gouvernement fédéral depuis qu’il a été élu en 2016, est allé lui raconter comment assurer l’unité du pays. Et Scott Moe de la Saskatchewan lui a présenté une liste d’exigences comme si le premier ministre dépendait de lui pour se maintenir au pouvoir.

Le troisième larron de l’Ouest, Jason Kenney a redoublé de démagogie en utilisant contre le gouvernement fédéral les mêmes arguments fallacieux qu’il avait employés l’an dernier pour se faire élire premier ministre de l’Alberta. Ignorant la baisse internationale du prix du pétrole brut et les changements climatiques qui vont provoquer la réduction de la demande de ce pétrole, il continue à blâmer le gouvernement Trudeau de ne pas avoir construit d’oléoducs qui permettraient à l’Alberta de vendre son pétrole à d’autres clients que les Américains.

M. Kenney refuse de reconnaître que Justin Trudeau a pris des risques politiques énormes en achetant l’oléoduc de Trans Mountain pour 4,5 milliards $ et en s’engageant à en doubler la capacité. M. Kenney sait très bien qu’Ottawa ne bloque pas le projet d’agrandissement du réseau de Trans Mountain : la Cour d’appel fédérale doit d’ailleurs entendre un appel sur les consultations autochtones à la mi-décembre. Toute action fédérale dépend des tribunaux.

Jouant sa comédie à fond, M. Kenney exploite les problèmes économiques sérieux de sa province pour se présenter comme le grand défenseur des Albertains maltraités. Il suggère que sa province établisse une agence provinciale du revenu, qu’elle se retire du plan de pension du Canada, qu’elle coupe sa relation avec la Gendarmerie royale pour créer une force policière provinciale et qu’elle adopte une “constitution“ provinciale, comme si la Loi concernant l’Alberta de 1905, une loi fédérale, n’avait pas déjà constitué la province.

Évidemment, aucune des mesures proposées par M. Kenney ne servira à construire un seul kilomètre d’oléoduc. Il pousse sa démagogie au point d’encourager un mouvement qui prône la séparation de “l’Ouest“. Et là, M. Kenney joue avec le feu, car appuyer ce séparatisme viendrait forcément nuire à son propre parti. Il se condamne à faire l’équilibrisme politique en s’opposant au gouvernement fédéral tout en évitant d’encourager sérieusement la formation d’un nouveau parti politique voué à la séparation.

Jusqu’en 2015, M. Kenney faisait partie d’un gouvernement fédéral dont l’objectif le plus fondamental était d’assurer l’unité du pays. Pour des raisons purement politiciennes, il se consacre maintenant à aggraver les tensions internes du Canada, profitant de l’actuelle conjoncture pour pousser ses intérêts politiques. Ce faisant, il menace l’unité canadienne plus sérieusement qu’un Bloc québécois renaissant.

Nota : Dans l’éditorial de la semaine passée, le patronyme de la sénatrice québécoise qui fait partie du Groupe des sénateurs canadiens aurait dû être écrit “Verner“.20