Plus d’un an après sa légalisation, les activités et le tourisme autour de la marijuana se développe petit à petit au Canada. Certaines réglementations pour protéger les mineurs des effets néfastes de sa consommation posent quelques problèmes aux entreprises.

 

Par Geoffrey GAYE (Francopresse)

 

À Toronto, à l’intérieur du Hotbox Lounge & shop, les émanations de fumée troublent l’atmosphère. Attablées à l’intérieur de l’enceinte, cinq personnes fument du pot, en joint ou à l’aide d’une pipe à eau. Un an après la légalisation du cannabis récréatif, le 17 octobre 2018, ce bar est toujours l’un des seuls du pays à rassembler les fumeurs de pot.

Le Canada est le deuxième pays, après l’Uruguay, à avoir légalisé le cannabis. Treize États américains ont également légalisé la consommation récréative des fleurs de cette plante. Malgré cet avantage, le pays de la feuille d’érable ne compte pas beaucoup d’espaces commerciaux permettant de consommer la feuille de cannabis. Un contraste avec le centre-ville d’Amsterdam, aux Pays-Bas, où les coffee shop regorgent de touristes.

Dans la capitale économique de l’Ontario (presque 3 millions d’habitants), 12 points de vente de marijuana. Autour de la ville, la plante envahit pourtant les sols : près 160 entreprises de production et de transformation, autorisées par Santé Canada, ont vu le jour. Quelques touristes profitent de l’offre très limitée de circuits agrémentés de substances hilarantes.

 

Un tour de bus et puis s’en va

Le marché se met doucement en place. Une poignée d’entreprises de circuits touristiques en bus existe, comme Toronto Toke Tours, Montréal 420 Tours ou Vancouver weed Tours. Les clients n’ont pas l’autorisation de fumer dans les bus et doivent se fournir eux-même en pot pour consommer lors des arrêts. À Vancouver, l’entreprise Chronic Canvas permet à ses clients de peindre des toiles sous influence.

À Calgary, Ravi Thaker tient une affaire de location de kayaks sur la rivière Bow depuis 3 ans. « La demande a augmenté de façon régulière. Plus de 50 personnes m’ont demandé s’ils pouvaient en consommer sur les embarcations. » Depuis que le cannabis a été légalisé, ce Canadien né au Mozambique cherche à permettre à ses clients de consommer, « pour profiter de la vue, de la ville et du paysage, et offrir une expérience totalement différente », explique-t-il.

« Bien sûr, nous avons interdit cette action en raison des lois qui interdisent l’utilisation d’un véhicule sous influence, mais nous avons réalisé qu’il était possible de fournir un service de manière sûre et responsable. Nous avons proposé notre idée de service Toke’n Float. Nous espérons pouvoir guider 2 à 3 heures d’excursion relaxante sur la rivière Bow, au cœur de Calgary. Les embarcations seront manœuvrées par des guides qualifiés, qui auront le contrôle total du kayak. L’utilisation du cannabis se fera pendant le temps de flottaison, mais pas nécessairement à bord du navire, de sorte que la compétence des guides ne soit à aucun moment compromise. »

L’entrepreneur avait pris un premier contact avec The Alberta Gaming, Liquor and Cannabis (AGLC), l’agence exclusivement chargée de la distribution du cannabis en Alberta. L’AGLC l’a redirigé vers la ville de Calgary. La municipalité aurait donné son feu vert à la fin de l’été : « Ils m’ont dit qu’il n’y aurait aucun problème, car les gens consomment leur propre cannabis personnel et seront responsables de cette consommation. »

 

La publicité muselée

Pourquoi l’offre reste-t-elle cantonnée? De nombreuses entreprises disent être contrariées par les réglementations qui ont encadré la légalisation. Mireille Teissier, Québécoise ayant ouvert un magasin de vente de cannabis à Edmonton parle d’un véritable bazar administratif. « La réglementation est répartie entre le fédéral, les provinces et les municipalités. Ils sont très prudents. Au moindre écart, ils peuvent suspendre le permis permettant de vendre du cannabis. »

Dans la loi encadrant la légalisation (La Loi sur le cannabis), les articles concernant sa promotion s’inspirent de la loi sur le tabac. Toute promotion auprès des jeunes, de 18 ans ou moins, est interdite, toute communication sur les prix du cannabis ou des services est interdite, stipulent les articles.

Mais aussi, les témoignages ou représentation d’une personne, d’un personnage ou d’un animal, qu’ils soient réels ou fictifs, qui évoquent un mode de vie tel que le glamour, les loisirs, l’excitation, la vitalité, le risque ou l’audace ne sont également pas permis, indique la loi.

 

La santé des jeunes plus importante que l’économie

Ce cadre législatif rend la vie quasiment impossible aux entreprises souhaitant promouvoir leurs nouvelles activités dans la rue ou sur le web. Les contrevenants sont passibles d’amendes pouvant aller jusqu’à 5 millions de dollars et trois ans d’emprisonnement. Les entreprises canadiennes ont du mal à s’affirmer et se développer dans ce contexte.

Le gouvernement préfère se montrer prudent et tient son cap. Le Groupe de travail sur la légalisation et la réglementation du cannabis, mandaté par Justin Trudeau en 2015, avait émis plusieurs réserves sur les effets du cannabis sur la santé. Notamment celle des jeunes : le cerveau des adolescents, qui se développe rapidement, peut être endommagé par une consommation régulière de cannabis.

L’idée de faire du Canada un aimant à amateurs de Ganja n’emballe pas vraiment Destination Canada, l’organisme d’État chargé d’attirer des visiteurs étrangers. «Destination Canada n’envisage pas actuellement de faire la promotion ou le marketing du tourisme lié au cannabis», nous a communiqué l’organisme.

Mireille Teissier, co-dirigeante de Daikoku à Edmonton, pense que la prudence du gouvernement est importante à l’heure actuelle, car « beaucoup ont besoin d’être éduqué sur le cannabis ». Mais elle garde bon espoir de voir ce marché se développer avec le temps. « La mise sur le marché des produits comestibles et dérivés devraient changer les choses », pense-t-elle. Selon elle, les bars proposant des produits comestibles au cannabis devraient se multiplier. Rendez-vous en 2020.