Manitoba, c’est le nom qui résonne en moi comme un appel du coeur et du sang, comme un besoin d’honorer mes ancêtres.
Collaboration spéciale – Paulette DUGAY
Et à travers eux, de rendre hommage à tous les anciens, à tous les liens de parenté qui se croisent et s’entrecroisent dans une immense, une profonde danse à la vie.
Manitoba, c’est le nom qui comme nul autre exprime pour moi l’amour de la famille, la volonté de se tenir ensemble, dans les bons jours comme les jours sombres.
En septembre 2019, durant une tournée de Batoche et de la Coulée-des-Tourond, aussi connue comme Fish Creek, les hauts lieux de la Résistance du Nord-Ouest de 1885, j’ai pu approfondir mes connaissances et mon appréciation pour les sacrifices faits par les familles métisses dans l’espoir de défendre leurs droits territoriaux.
J’étais particulièrement émue, car trois membres en lien de parenté avec moi ont perdu leur vie dans la lutte.
Joseph Vermette, le frère de mon arrière-grand-père Toussaint Vermette, est mort à la Coulée-des-Tourond/Fish Creek en avril 1885. Il est enterré au cimetière Saint-Antoine-de- Padoue à Batoche.
Dans le même cimetière, mais dans la fosse commune réservée aux neuf victimes de la dernière journée de la bataille du 12 mai 1885 à Batoche, reposent Calixte Tourond, tué à 32 ans, et son frère Elzéar Tourond, tué à 27 ans, deux enfants de Joseph Tourond, le frère aîné de mon arrière-grand-mère Élise Tourond, épouse de Toussaint Vermette.
Quand le goût du pèlerinage me saisit, je retourne aussi dans Au temps de la Prairie, le livre publié par les Éditions du Blé, l’histoire des Métis de l’Ouest canadien racontée par mon grand-père Auguste Vermette.
Le texte avait paru dans La Liberté sous forme de feuilleton en 1985. Marcien Ferland avait recueilli son témoignage sur une période de cinq années, à raison de deux entrevues par mois.
J’éprouve énormément de gratitude pour cet ouvrage, riche en informations qui auraient pu être perdues à jamais. Au temps de la Prairie dit à sa manière la magie et l’importance de témoigner, de transmettre. La transmission, c’est les yeux et le coeur du passé.
Je suis née de l’union de Pierre Lemay et de France Vermette. La famille de mon père, originaire de Lotbinière au Québec, fait partie de la vague de migration des Canadiens français recrutés par l’Église dans les années 1880 afin de fonder des paroisses catholiques. Mon arrière-grand-père et son fils Arthur Lemay ont toujours vécu sur la rue Masson, devant le grand terrain appartenant à la paroisse Cathédrale.
C’est aussi à Saint-Boniface que mon grand-père a rencontré Blanche Provencher, née à Gentilly au Québec. Ma grand-mère paternelle était d’une douceur angélique et d’une foi à toute épreuve. Lorsque son fils Pierre a épousé France Vermette, il s’est du même élan uni à la grande famille métisse.
Du côté maternel, la famille Vermette est en parenté avec les Gladu/Tourond, Riel/ Lagimodière, les Desroute et Sansregret. Ces familles sont issues des jeunes canadiensfrançais engagés par la Compagnie du Nord-Ouest dans les années 1820-1825 et de leurs épouses autochtones.
Dans le registre de leur employeur, on les retrouve dans le Nord-Ouest du pays, devenu par la suite l’Alberta, la Saskatchewan, le Manitoba et Pembina. De leurs descendants, certains se sont finalement établis dans la vallée de la rivière Rouge et dans la région de la Rivière-aux-Rats vers 1872.
Mon grand-père maternel Joseph Augustin Vermette est né à Saint-Pierre-Jolys le 9 février 1891.
Il aimait dire que parmi tous ses enfants, petits-enfants et arrière-petits-enfants, j’étais la seule à avoir pensé à lui en naissant, puisque je suis aussi venue au monde un 9 février.
Il était le plus jeune des neuf enfants de Toussaint Vermette et d’Élise Tourond. Auguste (comme on l’appelait ; ou encore, le vieux schnoro) faisait de la pêche dans la Rivière-aux- Rats, préparait des peaux de rats d’eau, de castors, de visons sauvages et même de chicoque (mouffette), qu’il étirait sur un moule qu’il faisait lui-même.
Dans la vie sociale, il a été commissaire d’école, président de l’arrondissement scolaire de Saint-Pierre-Nord et secrétaire-trésorier de l’Union nationale métisse Saint-Joseph du Manitoba pendant plusieurs années.
Il était un libéral engagé. Jamais il n’aurait voté pour le Parti conservateur, qu’il appelait « le parti des pendards », une référence directe à la pendaison de Louis Riel.
Pépère a toujours gardé une fierté spéciale pour ce qu’il était : un Métis de langue française.
Il racontait souvent l’histoire de Louis Riel, de la nation métisse et des injustices subies aux mains des gouvernements et de la milice canadienne.
Auguste Vermette a cultivé les 12 chaînes de terre qui lui ont été léguées par son père Toussaint uniquement avec des chevaux, de 1914 à 1965.
Il a quitté sa terre à Saint- Pierre-Jolys après le décès de sa deuxième épouse, ma grand-mère Philomène Gladu.
Il est venu demeurer à Saint-Boniface, où il prenait sa marche quotidienne pour dîner avec nous. Il s’est marié en troisièmes noces à 75 ans avec Elzire Dumont (née Tytgat). Après son décès, il a vécu chez sa fille aînée, ma marraine et tante Augustine Abraham, jusqu’à sa mort le 21 juillet 1986 à l’âge de 95 ans.
La mère de ma grand-mère Philomène Gladu était Eulalie Riel, une soeur de Louis Riel, qui avait marié William Gladu.
Ils ont eu neuf enfants. Douce et patiente, ma grand-mère a eu à son tour dix enfants et une vie remplie d’épreuves. Car non seulement la famille vivait dans la pauvreté, mais il faut bien reconnaître que mon grand-père était de caractère difficile et sévère envers elle.
Malheureusement, je l’ai moins connue, puisqu’elle a quitté ce monde lorsque j’avais sept ans. Mais je pense souvent à elle.
Oui, je pense souvent à Philomène Gladu, que j’aurais tant aimé mieux connaître. Des fois même, je me dis que vouloir entrer en résonance avec son âme, c’est m’ouvrir à l’humanité du Manitoba tout entier.
C’est accepter l’appel du coeur et du sang, par respect pour les anciens, par ardent désir d’un avenir digne pour tous les Manitobains, quels que soient leurs lieux d’origine.