Une rencontre internationale prévue en mars aura pour but de réunir des équipes de recherche intéressées par les problématiques des liens entre les langues parlées au sein de la famille et les institutions sociales.

 

Par André MAGNY (Francopresse)

 

Organisé notamment par le réseau Langscape basé en Allemagne et l’Institut national des langues et civilisations orientales (INALCO) à Paris, le colloque « Les langues dans la famille : attitudes, usages, politiques, histoires » aura lieu du 26 au 28 mars à Paris.

Le colloque devait d’abord avoir lieu en décembre, mais les conflits sociaux en France, particulièrement à Paris, ont obligé ses organisateurs à le repousser en mars comme l’explique celui qui a accepté « de mettre la machine en marche », José-Ignacio Aguilar-Rio. Joint par Skype, le maitre de conférences en didactique des langues et des cultures explique que Langscape met de l’avant les bienfaits du multilinguisme.

D’entrée de jeu, le jeune universitaire ne peut qu’être d’accord avec l’affirmation voulant que plus un enfant est jeune, plus on peut l’habituer à apprendre une ou des langues autres que sa langue maternelle. « Je vais dire oui, mais avec la réserve que je dois avoir. »

Espagnol d’origine, M. Aguilar-Rio constate que certains de ses collègues s’engagent « dans une voie militante » favorisant l’apprentissage des langues alors que d’autres n’oublient pas les enjeux sociaux, politiques ou culturels que peut avoir l’apprentissage de deux, trois ou quatre langues en bas âge. Le colloque mettra justement en lumière toutes ces nuances. Trois conférences plénières ainsi que près de 25 présentations individuelles s’articuleront autour de cinq axes : les transmissions linguistiques et culturelles, l’acquisition et le plurilinguisme, les perspectives sociolinguistiques, les langues de l’enfant : de la maison à l’école et de l’école à la maison et, enfin, les approches transversales à partir de corpus littéraires et artistiques.

 

Francophones et Inuits : même combat

L’universitaire francophone n’est pas sans savoir que le thème du colloque est directement lié à ce que vivent nombre de Franco-Canadiens en milieu minoritaire. Le combat du Franco-Ontarien, du Fransaskois ou du Franco-Manitobain pour la survie et le respect de sa langue peut sembler éloignées théories universitaires. Mais au contraire, il nourrit souvent ceux et celles qui réfléchissent sur les enjeux linguistiques de nos sociétés.

C’est le cas avec Natasha Doureix. Doctorante en cotutelle à l’Université Simon-Fraser (SFU) à Vancouver et à l’INALCO à Paris, qui est aussi enseignante au Conseil scolaire francophone de Colombie-Britannique. « Ce colloque m’a interpelée de par son titre qui englobe mes intérêts de recherche en tant qu’étudiante chercheuse et en tant qu’enseignante francophone en milieu minoritaire. »

Il faut dire que le parcours de Mme Doureix n’est pas banal. La Parisienne d’origine a obtenu sa maitrise en éducation à SFU, a enseigné au Népal, au Sri Lanka et au Nunavik! Sa présentation portera d’ailleurs sur le fait d’être Inuk et francophone à Kuujjuaq, dans le Grand Nord québécois.

C’est là-bas qu’elle a recueilli des biographies langagières d’Inuits plurilingues. L’universitaire rappelle que « plus de 95 % de la population parle en famille l’inuktitut et que 40 % des enfants sont scolarisés, à partir de la troisième année primaire, en français, et 33 % en anglais. » Lors du colloque, elle expliquera comment les langues se transmettent grâce à « l’engagement actif des familles et des éducateurs » à travers diverses situations où le français, l’anglais et d’autres langues viennent se métisser à l’inuktitut.

Y voit-elle des similitudes avec ce que vivent les familles franco-colombiennes? Selon elle, la question du français au Canada « reste un sujet épineux pour les francophones et francophiles ». Si les francophones « se battent inlassablement sur le plan juridique pour faire reconnaitre leur droit à une éducation francophone », de leur côté, les parents inuit doivent s’adapter aux nouvelles technologies qui bercent leurs enfants comme tous les autres sur la planète. Les langues se mélangent en alternance entre l’anglais et le français. Natasha Roudeix raconte que « certains adultes doivent même changer leurs habitudes linguistiques en présence des plus petits. L’inuktitut est donc pour eux au même titre que le français pour les francophones en milieu minoritaire un trésor à préserver et perpétuer. »

 

Le Brésil s’en mêle!

Janaina Nazzari Gomès travaille à l’Université de Saint-Boniface (USB) dans le cadre d’un projet mené par l’université francophone en partenariat avec Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC), concernant l’établissement et l’intégration des nouveaux arrivants dans la société manitobaine. L’objectif de la recherche est « d’analyser les différents parcours migratoires d’après les dimensions linguistique, économique et celle du bienêtre. »

Parallèlement, la linguiste termine son doctorat à l’Universidade Federal do Rio Grande do Sul au Brésil. C’est à ce titre qu’elle présentera à Paris « La langue du foyer intergénérationnel : un processus d’appropriation? »

Dans sa recherche doctorale, Mme Nazzari Gomès développe le concept « d’appropriation du français comme langue étrangère (FLE) » selon l’activité du sujet qui apprend. Elle donne l’exemple du Brésil. D’après celle qui siège aussi au sein du CA du Centre de la francophonie des Amériques, l’enseignement du français au Brésil est fortement régi par la norme. Un bon locuteur du français doit reproduire le français parisien. « Cela ne laisse aucun espace pour la singularité des parlers et pour l’activité créatrice du sujet parlant. »

Pourtant, selon la doctorante « de plus en plus de linguistes démontrent qu’il est impossible de faire abstraction des traits de la langue maternelle » quand on apprend une langue étrangère. Pourquoi? « Tout simplement, parce que la langue maternelle a une valeur fondatrice : elle a été le premier système symbolique qui a fait connaitre le monde à l’enfant. »

Eau fil de discussions avec cette amoureuse du français, on sent que celle-ci est convaincue qu’une personne qui parle français, portugais ou espagnol n’est pas seulement quelqu’un qui reproduit une langue, mais qui est aussi créatif. « Les néologismes en sont un excellent exemple ainsi que les milliers d’idiomes qui existent sur la planète – y compris le franglais, le chiac, le portugnol et tous les créoles. »

 

Saint-Boniface et Rio, au même rythme

La présentation de la doctorante brésilienne sera aussi nourrie par son expérience à Winnipeg. Jusqu’à maintenant, dans les familles avec qui elle a pris contact, plus de 40 langues s’entremêlent. La plupart du temps l’anglais et le français ne sont pas la première langue. Elle rapporte qu’au moment des entrevues « la langue parlée à la maison n’était ni la langue du pays d’accueil ni la langue maternelle; c’était un mélange entre les deux. »

Être accueilli dans un milieu minoritaire, complique-t-il les choses? Quelle langue utiliser à la maison? « Encore une fois, du point de vue du sujet parlant, il s’agit d’une activité créative, qui réinvente le rapport entre les formes et les sens, et, dans ce sens un processus d’appropriation, singulier, qui sera différent entre un foyer et autre. » D’un point de vue linguistique, on parlera même de l’apparition d’une troisième langue puisque les locuteurs, tant les parents que les enfants, « finissent par mélanger les langues maternelles et celle du pays d’accueil, et ce, non pas en faisant seulement du code switching [de l’alternance codique], mais en mélangeant les formes et les sens des différentes langues. »

Depuis 2018, Janaina Nazzari Gomès fait les aller-retour entre le Brésil et le Canada. De quoi lui donner la possibilité d’affiner ses observations et de tracer des parallèles linguistiques entre les deux sociétés. Elle a particulièrement remarqué des ressemblances entre « l’insécurité linguistique des francophones en milieu minoritaire au Canada et des personnes parlant français au Brésil, que je considère aussi comme étant francophones. »

Le souci de normativité et le désir de reproduire un parler français standard marquent les francophones des deux pays selon elle. Elle y va même d’un dernier conseil avant de retourner à sa recherche d’IRCC. Selon ses études, la langue des nouveaux venus risque d’être perdue dans le pays d’accueil «surtout après la deuxième génération». Comme linguiste, elle est d’avis « qu’il serait très bénéfique pour le Canada, qui est un pays multiculturel, d’encourager non seulement que ses citoyens soient bilingues (anglais-français), mais qu’ils soient polyglottes, profitant ainsi de l’immense richesse linguistique présente sur le territoire. »