Par Michel LAGACÉ

Trente-huit ans après l’adoption de la Charte canadienne des droits et libertés, les citoyens et citoyennes ne sont pas encore en mesure de bénéficier entièrement de l’article 23, une des avancées les plus importantes pour l’avenir des minorités linguistiques du pays. On se souviendra que, à l’extérieur du Québec, le droit de faire instruire leurs enfants en français est limité :

1- aux parents dont la langue maternelle est le français ;

2- aux parents qui ont fait leur scolarité au niveau primaire dans une école de langue française ;

et 3- aux parents dont l’un des enfants fréquente ou a fréquenté une école de langue française.

Cependant, les droits garantis dans la Charte peuvent être exercés seulement lorsque le nombre d’enfants le justifie. Et voilà où le bât blesse, puisque le nombre d’enfants éligibles à recevoir l’instruction en français demeure inconnu. Les recensements de Statistique Canada dénombrent seulement les répondants dont la langue maternelle est le français.

Depuis plusieurs années, des intervenants communautaires sont obligés de demander avec une insistance grandissante que des questions soient ajoutées au formulaire abrégé du recensement du Canada. Ce formulaire est le seul qui doit être rempli par tous les Canadiens, tandis que le formulaire détaillé est adressé à seulement 20 % de la population.

Statistique Canada ne s’est pas encore engagé à modifier le questionnaire abrégé du recensement. (1) Il est toujours délicat pour un gouvernement de s’ingérer dans les travaux de l’organisme statistique national, parce que sa crédibilité exige qu’il soit libre d’interventions politiques. Cependant, , la Loi sur la statistique permet au Conseil des ministres de prescrire par décret « les questions à poser lors d’un recensement… ». Pour assurer un équilibre entre l’autonomie de Statistique Canada et l’imputabilité politique du Conseil des ministres, tout décret doit être publié dans la Gazette du Canada.

Justement, dans sa lettre de mandat de décembre dernier adressée à Mélanie Joly, la ministre du Développement économique et des Langues officielles, Justin Trudeau écrivait : « Vous entreprendrez un dénombrement des ayants droit … » Le prochain recensement doit avoir lieu en 2021. Si Statistique Canada ne propose pas bientôt au Conseil des ministres des questions qui donnent suite à cette directive, Mélanie Joly aurait tout à fait raison de demander à ses collègues d’émettre un décret dans ce sens.

Chose certaine, l’approche du recensement met à l’épreuve la volonté politique de ce gouvernement et son engagement réel auprès de la francophonie. Cinq ans après l’arrivée au pouvoir du gouvernement Trudeau, et 38 ans après l’adoption de la Charte, il n’y a aucune raison d’attendre au recensement de 2026 pour que l’article 23 puisse répondre pleinement aux attentes des Canadiens.

(1) Dans un test du recensement effectué en 2019, Statistique Canada a proposé de nouvelles questions afin de déterminer le nombre d’ayants droit.