Les situations anormales mettent les comportements humains à l’épreuve. Dans le cas de l’actuelle pandémie de la COVID-19, la société et les individus traversent un vrai bouleversement. Luc Bégin, professeur de philosophie, propose son regard sur certains comportements.

Par Ophélie DOIREAU

Dois-je dénoncer mon voisin s’il ne respecte pas la distanciation sociale? Ou encore : Je vais donner davantage de mon temps pour aider les personnes qui sont plus à risques. Ces questions et ces attitudes ont certainement dû venir à bien des esprits, pressés par les exigences qu’impose la crise sanitaire.

Luc Bégin, qui a mis sur pied en 2004 l’Institut d’éthique appliquée de l’Université Laval et qui en a assumé la direction jusque 2016, présente quelques pistes de réflexion.

« Pendant les crises mondiales, le meilleur et le pire de l’individu ressortent. On observe des élans de générosité, comme les repositionnements de certaines entreprises pour soutenir les services de santé.

Des actions qui permettent aux salariés de continuer à travailler, sans que l’entreprise n’en retire le bénéfice ordinaire. Ou encore ces personnes qui se portent volontaires pour en aider d’autres dans le besoin.

« Et puis se manifeste le pire de l’humain. Ceux qui profitent de la pandémie pour commettre abus et fraudes à l’endroit de populations moins averties. Des gens qui, par exemple, se font passer pour des fonctionnaires de Revenu Canada qui prétendent verser de l’argent.

« Mais qui au final utilisent les coordonnées bancaires des arnaqués. Il y a aussi ces individus qui en profitent pour vendre des produits dits miracles, ou encore qui demandent des prix exorbitants pour des gels hydroalcooliques. »

Ces comportements, analyse Luc Bégin, sont liés à l’atmosphère d’incertitude qui règne.

« Nous sommes actuellement dans une société qui doit apprivoiser l’incertitude. C’est une période déstabilisante pour tous, autant pour les pouvoirs publics que pour nous, les individus lambda. Nous n’avons pas assez de valises du passé pour répondre correctement à ce nouveau phénomène. D’où l’apparition de comportements irréguliers.

« Ils sont essentiellement animés par la peur et alimentés par les fausses nouvelles. Par exemple, il circule en ce moment une théorie qui veut que Bill Gates ait inventé ce virus et qu’il attend le bon moment pour sortir le vaccin qu’il a déjà conçu.

« L’incertitude qui existe encore sur le plan scientifique par rapport au virus laisse une porte ouverte aux dérives, parfois involontaires, parfois malveillantes. C’est ainsi : dans un moment où on devrait être au plus raisonnable, nos faiblesses sont le plus exacerbées et mises à l’épreuve.

« On pourrait résumer cette tension par la question suivante : Si on demande aux citoyens d’être en alerte ainsi que dans l’effort collectif et si un individu met en péril cet effort de tous, doit-on le dénoncer?

« La question exige d’introduire la notion de bienveillance. Si je le dénonce juste pour une vengeance, alors le geste n’est pas acceptable. Les citoyens ne doivent pas se donner le mandat d’aller à la chasse aux individus. Cette dérive créerait un climat malsain et laisserait des traces après la pandémie. »

Le chercheur en éthique publique insiste donc sur la nécessité de plus que jamais bien digérer les informations.

« Tous les jours nous sommes bombardés d’informations. Le manque de confiance envers les élites politiques, économiques, les médias traditionnels, les scientifiques ou toutes personnes qui exercent une forme de pouvoir, voilà un climat propice à engendrer des théories du complot.

La combinaison des fausses nouvelles et du manque de rationalité chez certains ne font que multiplier les théories du complot.

« Je pourrais résumer la situation ainsi : pour beaucoup de personnes, tout ce qu’ils ne comprennent pas ou ce à quoi ils n’ont pas accès doit être une source de méfiance.

« Ces facteurs poussent des individus fragiles ou fragilisés à adhérer à des théories qui apportent des réponses simples et faciles.

« Quand il n’y a pas moyen de déconstruire, de dénoncer 07Pandédes informations erronées faute de connaissances sûres, l’individu choisit souvent la facilité.

« Par exemple, puisque nous ne savons pas encore avec une totale assurance comment le virus est apparu, les théories de création en laboratoires ont le vent dans les voiles, car elles sont faciles et simples à admettre.

« Il y a ici un chantier prioritaire à lancer : l’accès à l’éducation du traitement de l’information. Ce déficit de compétences est un véritable problème pour la démocratie. Peut-être un problème plus important encore que la lutte contre la COVID-19. »