Les médias jouent un rôle crucial de vulgarisation depuis le début de la pandémie. Pas une journée ne passe sans que les chiffres exponentiels de la COVID-19 ne dansent sur nos écrans, s’invitent en première page et alimentent le débat sur les ondes. L’information semble à portée de main, et pourtant son traitement nécessite une expertise que ne possèdent pas tous les journalistes.

 

Par Arnaud BARBET – Francopresse

 

« Au début de la pandémie, j’ai profité d’un espace médiatique vide pour offrir mes connaissances et mon expertise sur les données de la COVID-19 », explique Patrick Déry, analyste sénior associé à l’Institut économique de Montréal (IEDM) s’étant lancé dans un projet personnel de vulgarisation des données de la COVID-19 au début de la pandémie. 

Chaque jour, il traque les données, les analyse et les contextualise tout en insistant sur le paramètre temporel de la pandémie. Il publie ensuite ses résultats sur son compte Twitter, qui est passé de 700 abonnés à plus de 9900 en quelques mois. 

Surpris par cet engouement, il suggère avoir comblé un vide au début de la pandémie, qui semble persister au fil des mois. Rapidement, Patrick Déry a entrepris de commenter aussi les réponses des gouvernements, et éventuellement de corriger certaines données trop succinctes, explique-t-il dans un épisode du balado Les Écrans. 

« Notre système de santé est fragile comparé à un grand nombre de pays développés, encore plus au Québec. Je voulais comprendre cette pandémie, mettre en contexte les chiffres et les analyser », confie Patrick Déry à Francopresse.

Définissant la pandémie comme « une gamme de chiffres qu’il faut contextualiser », Patrick Déry comprend la frilosité de certains journalistes face à l’envolée des données. « J’ai travaillé longtemps dans des salles de rédaction, les journalistes sont des hommes de lettres avant tout. Ils n’aiment pas forcément les chiffres », avance-t-il tout en évoquant l’impossibilité de la profession d’être du jour au lendemain des experts en traitement de données.

L’importance de diversifier ses sources d’information 

Sathya Rao, professeur au Département de langues modernes et d’études culturelles à l’Université de l’Alberta, souligne le rôle particulièrement pédagogique des médias traditionnels en cette période compliquée : « Il y a énormément de données scientifiques qui sont relayées et contextualisées », indique-t-il en s’interrogeant sur la capacité de la population à bien les comprendre.

« La recherche tâtonne, de nouveaux éléments arrivent chaque jour. Même le monde scientifique n’est pas unanime », insiste le chercheur. Il lui semble difficile dans ces conditions d’avoir tous les outils pour comprendre le débat scientifique, et ce malgré « les efforts des médias ». 

Il invite la population à s’informer auprès de différentes sources médiatiques et à vérifier l’information.

Patrick Déry, qui concentre son travail d’analyse au Québec, montre du doigt la façon dont le gouvernement présentait les données brutes au début de la pandémie, « sans contexte ni analyse ».  Il en déduit que certaines informations n’étaient pas relayées correctement à la population, malgré la bonne foi des médias. 

Il y évoque un raisonnement politique : « Chaque gouvernant doit défendre son bilan de la pandémie, quitte à instrumentaliser les données, explique-t-il. Celles-ci peuvent d’ailleurs te mordre le derrière à un moment ou un autre. »

« Les points de presse quotidiens du gouvernement [du Québec], avec le premier ministre et le directeur de la santé publique, c’était une grand-messe, on faisait des annonces! [Les informations véhiculées se retrouvaient en] Une du journal le lendemain, avec des grosses lettres de bois ; mais si on regardait les chiffres, ça ne fonctionnait pas. Il aurait fallu les contextualiser », avertit Patrick Déry. 

Un citoyen averti en vaut deux

Le professeur Sathya Rao précise que « les médias publics sont là pour nous rassurer. Il faut avoir la foi et faire confiance. » 

Il ajoute que la vulgarisation de données scientifiques est une expertise complexe : « De plus, c’est une course contre la montre perpétuelle. C’est juste humain d’avoir des doutes. » 

Un message qui résonne chez la sociologue Amal Madibbo, chercheuse invitée au Programme d’études mondiales et internationales à l’Université Carleton et professeure agrégée à l’Université de Calgary. « Il faut être critique analytique, mais pas forcément sceptique », suggère-t-elle.

Plutôt que de mettre en cause la qualité des médias, la professeure Madibbo insiste sur la responsabilité du citoyen face à sa manière de les consommer. Elle invite aussi ceux qui doutent de la véracité des informations transmises par certains médias à prendre le temps de décrypter leur neutralité. « Le média de qualité est là pour nous informer », rappelle la sociologue.

Elle-même déclare avoir consommé beaucoup de chiffres en début de pandémie, tandis qu’aujourd’hui elle cherche plutôt des réponses à certaines problématiques très précises. 

Des réponses qu’elle ne trouve d’ailleurs pas forcément dans les médias traditionnels : « Il m’arrive d’aller chercher mes informations ailleurs, car ces médias ne couvrent pas forcément la pandémie à l’échelle d’une population particulière, [les populations] à risque notamment. »

Elle déplore que dans les sociétés occidentales multiculturelles, les médias traditionnels et publics, malgré leur rôle « éducatif, critique et informatif », ne soient pas forcément représentatifs de la population. 

La professeure Madibbo suggère que ce manque de représentativité, notamment des minorités visibles, pourrait être l’une des raisons expliquant le manque de confiance de certaines franges de la population envers les médias. Elle évoque entre autres les Premières Nations et les communautés haïtienne et africaine. 

L’infodémie passe d’abord par les réseaux sociaux

Selon une étude (en anglais seulement) effectuée par des chercheurs de l’Université McGill et de l’Université de Toronto, publiée en juin, « les mesures préventives sont plus encouragées et couvertes par les médias d’information traditionnels, tandis que la désinformation apparait plus fréquemment sur Twitter ». 

Le professeur Sathya, de l’Université de l’Alberta, précise que « les théories complotistes sont très faciles à apprivoiser. C’est compréhensible et humain. En période difficile, les gens ont tendance à se victimiser », souligne-t-il. 

Il note d’ailleurs le pouvoir de conviction de ces théories sur la population : « Comme la COVID-19, ces théories sont dans l’air et circulent. Elles peuvent être très convaincantes et nous interpellent, peu importe notre niveau d’éducation. » 

À l’inverse, comme l’a vécu Patrick Déry, les médias sociaux peuvent aussi avoir une valeur pédagogique et informative. 

Dans tous les cas, Sathya Rao insiste sur l’importance de l’éthique de travail lors de la recherche, qui peut être longue et fastidieuse pour les journalistes qui se penchent sur la COVID-19. 

Le professeur au Département de langues modernes et d’études culturelles souligne que la route vers l’exactitude peut être semée d’embuches, surtout dans le contexte de l’actualité instantanée : « Il faut faire attention à la contamination intellectuelle virale ; on n’est pas tous vaccinés pour cela. »