Par Joël TÉTRAULT

Les enfants ont le don d’adorer les histoires qu’on leur raconte le soir. Souvent ces contes ont une fin heureuse et encouragent au sommeil. Et puis un soir, les enfants réalisent la ruse et arrêtent de demander des histoires, car ils sont assez vieux pour distinguer le vrai du faux et n’ont plus besoin des parents pour les border.

Mais qu’arrive-t-il si les enfants devenus adultes croient encore aux fables, mythes et contes? Si leur réalité et leur vécu n’ont pas évolué avec le temps? Hélas une grande part des citoyens de l’Amérique du Nord (États-Unis et Canada) restent pris au piège et préfèrent continuer à croire à une multitude de platitudes par rapport à la colonisation européenne des Amériques qui n’ont rien à voir avec la réalité historique.

Malheureusement, certains de ces mensonges ont eu des effets désastreux sur notre société, sur l’économie, les droits des citoyens, nos lois, notre environnement, nos gouvernements et leur fonctionnement.

Au chapitre de l’économie, par exemple, pèse encore le mythe tenace que la colonisation a civilisé et révolutionné en bien l’économie des Amériques. Cette narrative suprémaciste européenne/blanche s’est perpétuée long-temps dans nos salles de classes d’écoles publiques, et donc dans nos sociétés.

Pourtant, avant l’arrivée des Européens, les Amériques entretenaient des réseaux d’échanges complexes, une gestion des terres saines, des métropoles qui à l’époque égalaient les villes d’Europe et surtout une économie construite sur des principes de durabilité (1).

Pour les peuples des Premières Nations, la clé du succès économique n’est pas l’indépendance, la liberté individuelle et la propriété privée, mais l’interdépendance, le partage du territoire et le succès de la collectivité (2). Les Premières Nations des Amériques étaient des chasseurs-cueilleurs, des spécialistes du troc, des bâtisseurs et des agriculteurs accomplis.

La santé de leurs sociétés reposaient sur deux facteurs déterminants : l’environnement physique et la durabilité de l’activité économique (3).

Les anthropologues citent souvent le dévelop-pement de l’agriculture comme étant la marque d’une civilisation avancée. Si seulement la majorité des Canadiens était consciente que la pomme de terre, le maïs, les courges et le haricot (entre autres), sont des cultures originaires des Amériques! De plus, les Premières Nations agricoles pratiquent la polyculture, un style d’agriculture qui requiert moins de ou aucun fertilisant ou pesticide chimique.

Pour fleurir, cette approche économique n’a pas besoin d’inégalité raciale, de destruction d’écosystèmes complexes, d’esclavage à grande échelle et de vol de terres. C’est évident que pour sauver notre planète, le grand tournant vert n’aurait pas été nécessaire si les grands pays colonisateurs avaient eu l’humilité d’intégrer certaines connaissances, enseignements et traditions des Première Nations.

Au lieu, ils ont voulu imposer une vision du monde qui reposait sur le profit, le pillage des ressources naturelles et des lois racistes pour perpétuer un système économique à bout de souffle en Europe faute de ressources naturelles et de territoire (4).

Face à ces faits, pourquoi ne pas admettre que la colonisation et ses principes économiques n’étaient pas la meilleure option? Évidemment pour certains, ce serait admettre les erreurs du passé. Une admission qui exigerait de remettre en question tout ce qu’ils tiennent pour pure vérité.

Une prise de conscience d’autant plus difficile à faire quand on prend la mesure des divisions idéologiques et économiques de nos sociétés. Une démarche d’autant plus pénible quand on regarde en face certaines conséquences de la colonisation : génocide de centaines de nations autochtones, racisme systémique, environnement dévasté, changements clima-tiques catastrophiques.

C’est évident que c’est plus réconfortant de croire que la poule continuera toujours à pondre des oeufs dorés. Les marchands de rêves pour adultes ont encore, hélas, de beaux jours devant eux.


(1) Mann C. Charles; 1491 : New Revelations of The Americas Before Columbus; Knopf; 2005; 465 p (2) Katz, Jennifer; Lamoureux, Kevin; Ensouling Our Schools: A Universally Designed Framework for Mental Health, Well-Being, and Reconciliation; P&M Press; 2018; p. 24 (3) https://www.aptn.ca/1491/ (4) America Before Columbus