Par Antoine CANTIN BRAULT

Il s’est produit en 2020 un évènement qui arrive rarement depuis 100 ans : la nature a pu enfin respirer. Son exploitation intensive a été mise sur pause, les routes ont fait place aux bicyclettes, le ciel s’est vidé des avions, la consommation a diminué. Mais cet évènement, somme toute éphémère, n’a pas été le fruit d’un choix réfléchi ou d’une responsabilisation accrue face à nos actions. Il a pu avoir lieu tout simplement parce que nous étouffions.

Littéralement, la COVID-19 étouffe. Ce virus qui a tant tué déjà, et qui continue ses ravages, le fait en s’attaquant au système respiratoire. Et à cause des périodes de confinement forcé, ce virus nous a empêché de respirer à un autre niveau, plus essentiel encore.

Car la respiration n’est pas seulement le fait biologique d’inspirer et d’expirer de l’air. Un autre mouvement respiratoire vital s’effectue quand on se dessaisit et quand on se ressaisit. Nous nous dessaisissons lorsque nous allons dans notre environnement en interagissant avec lui et en le transformant au passage. Et nous nous ressaisissons lorsque nous retournons en nous-mêmes, dans le silence et le calme de notre vie intérieure.

Le confinement dû à la COVID-19 a affecté les deux aspects de la respiration essentielle. Nous avons été incapables d’aller nous déprendre dans notre environnement par obligation de respecter la distanciation sociale. Et nous avons été incapables de nous reprendre dans notre vie intérieure à cause de la présence continue des autres dans notre foyer ou encore à cause de toutes sortes d’anxiétés.

Voilà pourquoi la mort tragique de l’Afro-Américain George Floyd concentre en elle tout 2020. Mort étouffé sous le genou d’un policier, ses dernières paroles ont été : I can’t breathe.

Mots terribles qui disent également l’étouffement que subissent des groupes de personnes qui ne peuvent convenablement se dessaisir et se ressaisir du fait de certains préjugés négatifs et de certaines structures du système.

Outre les Noirs, pensons aux femmes, aux Autochtones, aux personnes âgées, aux personnes LGBTQ2+, forcés de toujours vivre dans un certain confinement, peu importe qu’il y ait pandémie ou non.

Ces déchirures qui l’habitent, l’humanité a pu les voir pour un temps, quand elle avait échappé à l’obsession de la productivité et de la consommation. Déchirures d’avec la nature, et plus encore déchirures d’avec sa propre nature. Voilà pourquoi, s’il faut sans contredit célébrer les différences, il ne faut pas non plus perdre de vue qu’un sens viscéral de l’unité humaine nous rassemble et nous rapproche dans les moments les plus difficiles.

Qu’espérer pour 2021? Certes une vaccination massive et rapide. Mais encore plus une façon de mieux respirer. À nous de nous assurer que le plus de personnes possible respirent. À nous de nous assurer de ne pas menacer la respiration de la nature, de laquelle nous dépendons intimement. À nous de repenser notre façon de respirer en repensant qui nous sommes.

Depuis longtemps déjà, l’être humain a été défini comme animal rationnel. À ce titre, sa respiration consiste à se dessaisir sans retenue dans la nature et sur les autres pour en devenir « maître et possesseur ». Puis à se ressaisir en se célébrant narcissiquement, en contemplant ses possessions et sa place dans la hiérarchie de la domination.

Il serait bon que l’animal rationnel comprenne qu’il respire depuis longtemps en vase clos et que le vertige qu’il éprouve est dû à son manque d’oxygène.

Pour respirer mieux, l’humanité doit se réconcilier avec elle-même et avec son environnement. Elle doit vivre au rythme de l’essentiel : réapprendre à respirer avec les autres et selon la respiration de la nature. Et donc d’abord se demander : Qu’est-ce que l’essentiel? Que signifie vivre essentiellement?