Très peu de temps après le lancement de l’exposition L’autre, la galerie du Centre culturel franco-manitobain (CCFM) a dû fermer ses portes, pandémie oblige. Le commissaire de l’exposition, Eric Plamondon, regrette que les efforts des artistes manitobains n’aient pu être récompensés.

Par Laëtitia KERMARREC

Eric Plamondon partage son temps entre la direction générale du centre winnipégois d’art et culture Artspace et sa pratique artistique multidisciplinaire (1).

« L’exposition du CCFM rentrait dans le cadre du 150e du Manitoba pour mettre en valeur dans sa galerie le travail d’artistes manitobains. Nous étions cinq qui n’avaient jamais exposé avant : Reza Rezaï, Xavier Nutshitayi, Jen Funk, Stéphane Oystryk et moi-même.

« Le thème que j’avais choisi pour l’exposition était la variété culturelle en 2020, en comparaison d’il y a 150 ans. Un sujet qu’on effleure souvent sans y plonger profondément. L’idée n’était pas juste de dire qu’on a l’air différent et qu’on crée différemment, mais d’appuyer le fait qu’il y a quelque chose d’intéressant qui émerge quand tu laisses pleinement exprimer qui tu es. »

En l’occurrence, le travail exigeait en plus d’aller à la découverte de l’autre, artistiquement parlant. « Chaque artiste s’est fait assigner un autre participant. Le but était de comprendre sa démarche artistique et de s’en inspirer pour la création d’une oeuvre.

« On s’est donc approprié des éléments de l’autre pour créer. Cela a posé la question de ce qu’est l’appropriation permise, acceptée, et celle qui ne l’est pas. L’idée n’était pas de produire une imitation, mais de bien comprendre la personne pour s’en inspirer.

« Et ce ne devait pas être non plus un hommage à la personne. Ensuite, chacun était libre de décider comment il aborderait le thème.

« Pour citer un exemple, Stéphane s’était fait assigner Jen. Elle est une peintre transgenre qui travaille surtout avec de la peinture aérosol. Stéphane est surtout connu pour ses films. Donc son instinct de départ était de produire un mini documentaire sur Jen Funk.

l Regrets

« Ce qui ne pouvait pas fonctionner, puisque ça aurait été un hommage à la personne.

« Il a donc repensé son projet une première fois et a pensé faire son mini documentaire sur un de ses proches au lieu, qui fait du drag (queen).

« Dans cette démarche, il confondait alors les drag et les transgenres, ce qui n’allait pas non plus.

« Finalement, il s’est aperçu que ce qu’il admire chez Jen, c’est que c’est une personne qui a grandi au rural et qui est devenue artiste transgenre dans une communauté francophone catholique. Alors, pour la première fois, Stéphane a proposé une oeuvre sculpturale et non filmographique : un bloc de béton avec une plante qui en sort. »

Eric Plamondon regrette que les oeuvres n’aient pu être exposées longuement au grand public, comme c’était prévu. « À l’origine, on devait exposer en mai. Puis mai est devenu septembre, puis octobre. Enfin, on a pu ouvrir l’exposition le 8 octobre.

« On a monté les oeuvres dans la galerie, fait le vernissage avec une trentaine de personnes. Et, une semaine plus tard, il fallait fermer l’exposition, mettre en sourdine tous nos efforts (2). Ce qui est vraiment dommage, parce que chaque artiste y a vraiment consacré du temps. Pour chacun, le cheminement a été très important. »

Mais leur chance semble passée, comme l’explique le commissaire de l’exposition : « Pour le moment, on n’a aucune idée si on va pouvoir remontrer les oeuvres. Le CCFM a prévu d’autres expositions. On va sûrement devoir démonter les oeuvres sans avoir la chance de les réexposer au public. »

Au moins, la technologie permet de sauver les meubles. « De mon côté, je m’assure de documenter le show. À la mi-décembre, je commence à montrer les oeuvres sur les médias sociaux, c’est-à-dire sur mes comptes Facebook et Instagram. Mais certaines oeuvres, comme la mienne, ont vraiment été conçues pour être vécues dans la galerie du CCFM.

« Pour ma part, j’avais à travailler avec Stéphane, qui donne beaucoup de place aux histoires de Saint-Boniface, au lieu géographique et aussi aux gens qui y vivent. Mon oeuvre s’appelle donc Saint-Bonifag et raconte l’histoire des gens gais en lien avec ce lieu.

« C’est un texte avec des photos qui s’étend sur deux étages du CCFM. Donc quand tu arrives devant, tu es frappé par la richesse et la longueur de l’histoire. Le texte est accessible, mais pas sans travail. C’est le feeling que je voulais laisser aux gens. On va être capable de prendre des photos, mais ce sera loin de permettre la même expérience qu’une exposition réelle. »

Car le passage au virtuel ne peut pas tout combler, souligne Eric Plamondon. « Comme artiste, on utilise la chance d’exposer pour se faire connaître. Donc on perd cette opportunité d’aller chercher des contrats, ou même simplement d’avoir des échanges. Ce qui est une partie significative de la manière dont les artistes professionnels existent. »


(1) Pour en savoir plus, voir l’article Eric Plamondon, un peu plus Lucas que Théo, dans La Liberté du 10 au 16 juin.

(2) Après avoir été repoussée plusieurs fois en raison de la pandémie, l’exposition L’autre devait finalement avoir lieu du 8 octobre au 28 novembre.