Le mouvement vers l’élimination des changements d’heures annuels a pris de l’ampleur l’automne dernier. Si certains politiciens et plusieurs militants souhaiteraient le maintien de l’heure avancée en permanence, la science préconise plutôt l’heure normale en tout temps.

 

Par Marc POIRIER – Francopresse 

 

La pratique de changer l’heure deux fois par année fait l’objet de critiques depuis plusieurs années. Effets néfastes sur la santé, augmentation des accidents de la route, risques accrus des accidents vasculaires cérébraux, dépression, stress et manque de sommeil sont entre autres au banc des accusés. 

En Amérique du Nord comme en Europe, l’idée d’avoir un régime d’heure fixe fait son chemin. Au Canada, la question est à l’ordre du jour, notamment en Ontario, au Québec et aux Territoires du Nord-Ouest. 

La Saskatchewan fait cependant bande à part en maintenant la même heure pendant toute l’année ; la province a la même heure que l’Alberta le printemps et l’été, et la même que le Manitoba du début novembre au début mars. La région de Lloydminster, traversée par la frontière qui sépare la Saskatchewan de l’Alberta, fait exception et vit à la même heure que l’Alberta.

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85 % des Canadiens en faveur d’une seule heure à l’année

La maison de sondage Narrative Research a mené une consultation pancanadienne sur le sujet. Résultat : 85 % des Canadiens consultés sont en faveur d’éliminer les changements d’heure, le plus fort appui (95 %) venant du Nouveau-Brunswick et le moindre (76 %) étant à Terre-Neuve-et-Labrador.

Jusqu’ici, les gouvernements du Manitoba, de la Nouvelle-Écosse et de Terre-Neuve-et-Labrador ne semblent pas intéressés par cette idée.

En Ontario, au cours des deux dernières années, trois députés de trois partis ont déposé des projets de loi privés afin de mettre un terme au changement d’heure dans la province. Le plus récent projet de loi privé, celui du progressiste-conservateur Jeremy Roberts propose que l’heure avancée soit maintenue en permanence. 

Les députés ont voté à l’unanimité en faveur de ce changement à la fin novembre, le tout étant conditionnel à ce que le Québec et l’État de New York fassent de même. 

Le premier ministre du Québec, François Legault, a indiqué au début du mois d’octobre qu’il était «ouvert» à examiner cette idée. À noter que la Basse-Côte-Nord est à l’heure normale de l’Atlantique toute l’année.

Aux Territoires du Nord-Ouest, le projet de loi 13, déposé en octobre dernier et qui en est en deuxième lecture, suggère que le territoire élimine le changement d’heure pour passer à l’heure normale des Rocheuses. 

Plus à l’Est, le député conservateur prince-édouardien Cory Deagle a déposé un projet de loi en Chambre le 3 décembre dernier afin d’adopter l’heure avancée en tout temps. 

Les députés ne se sont pas encore prononcés, mais le premier ministre Dennis King s’est dit prêt en discuter avec ses homologues des deux autres provinces qui partagent la même heure que l’Ile, soit la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick.

Si l’idée en Nouvelle-Écosse n’a pas encore atteint la sphère politique, le Nouveau-Brunswick est tout ouïe. Le premier ministre Blaine Higgs serait très intéressé, affirmant que « la stabilité qui découlerait de ce changement serait appropriée ».

Le chef de l’opposition officielle du Nouveau-Brunswick, Roger Melanson, a d’ailleurs l’intention de présenter soit une motion, soit un projet de loi, lorsque les travaux de l’Assemblée législative reprendront en 2021.

Il se dit conscient qu’il y a un certain débat à savoir s’il serait préférable d’opter pour l’heure avancée ou l’heure normale. 

« Je pense qu’il faut avoir des discussions, mais dans les sondages, les gens disent préférer l’heure avancée. Pourquoi? Parce qu’ils veulent bénéficier d’une heure supplémentaire de lumière naturelle le soir […] C’est un débat qu’il faut avoir. »

Des opinions divergentes sur l’heure à adopter

La sociologue, écrivaine et communicatrice Valérie Harvey croit que le plus important est de mettre fin aux changements d’heure ; le choix de l’heure importe moins à ses yeux. 

Après avoir vécu au Japon, où elle a pu expérimenter les bienfaits d’un pays qui ne change jamais d’heure (la Chine, l’Inde et plusieurs autres pays sont dans la même situation), elle a présenté une pétition à l’Assemblée nationale du Québec en 2013 afin que la province fasse de même.

Sept ans plus tard, Valérie Harvey est convaincue plus que jamais que c’est la bonne chose à faire. « Il faut arrêter de faire le yoyo », estime-t-elle. 

Bien qu’elle ne soit pas fermée à adopter l’heure normale, elle croit que plus de clarté le soir pendant l’hiver serait bénéfique, surtout pour les enfants. « Selon une étude, avec l’heure avancée, les enfants feraient peut-être un peu plus d’activité physique parce qu’on aurait plus tendance à les laisser à l’extérieur lorsqu’il fait encore clair quand ils arrivent de l’école. »

Joseph De Koninck, spécialiste du sommeil œuvrant notamment à l’Institut de recherche sur le cerveau de l’Université d’Ottawa, rejette du revers de la main les bienfaits supposés de l’heure avancée en permanence : les désavantages, dont le manque de sommeil, sont selon lui bien pires que n’importe quel avantage.

« Avec l’heure avancée, on se couche plus tard, on dort moins et ça, ça a un impact sur toute la santé. C’est de plus en plus démontré que le sommeil, c’est le dénominateur commun de la santé physique et mentale. Si vous n’avez pas vos 7-8 heures de sommeil, vous allez développer de l’obésité, des problèmes cardiaques, etc. »

Le scientifique cite en exemple la Russie qui, en 2011, devenait le premier grand pays industrialisé à tenter l’expérience d’éliminer les changements d’heure. « Ils sont allés avec l’heure avancée parce que la population aimait avoir plus de clarté le soir. Mais quand les gens ont gouté à l’hiver, ils se sont plaints et ils sont revenus à l’heure normale en 2014. »

La Finlande a pour sa part décidé en 2019 de rester à l’heure normale l’année durant.

Le Parlement européen a décidé en 2019 que les pays membres devraient abolir le changement d’heure en 2021, mais en leur laissant le choix d’opter pour l’heure « d’été » ou l’heure « d’hiver ». Cependant, cette démarche est présentement bloquée au niveau du Conseil des ministres de l’Union européenne. 

Joseph De Koninck croit que l’heure avancée est tellement néfaste, surtout en hiver, qu’il serait préférable selon lui de continuer avec les changements d’heure plutôt que d’abandonner l’heure normale complètement.

Mais, de son propre aveu, la tendance « commence à être difficile à renverser. Partout en Amérique du Nord, la quasi-totalité des gouvernements qui ont aboli ou ont l’intention d’abolir le changement d’heure préconise l’heure avancée comme heure permanente. »

Débats en cours chez nos voisins du Sud

En mars dernier, le Yukon a décidé qu’il changerait d’heure comme d’habitude, mais pour la dernière fois. Il n’a pas reculé l’heure au début novembre. 

Le territoire avait mené un sondage auprès de la population, dans lequel 93 % des répondants s’étaient dit en faveur de ne plus changer d’heure. De ce nombre, 70 % préféraient adopter l’heure avancée en permanence.

Juste au Sud, la Colombie-Britannique a adopté un projet de loi dans ce sens à l’automne 2019, mais la mesure ne sera pas mise en vigueur avant que les États américains voisins de Washington, d’Oregon et de Californie fassent de même. 

L’Oregon et l’état de Washington ont adopté des lois qui rendront l’heure avancée permanente, mais la Californie n’a pas encore réussi à obtenir assez de votes pour faire de même. Rien ne peut cependant se faire sans l’approbation du Congrès américain, et rien ne bouge de ce côté pour le moment.

Pourtant, en plus de l’Oregon et de Washington, au moins six autres États ont voté en faveur de la mesure. En tout, plus d’une trentaine ont des projets de loi adoptés ou en chantier. C’est une tendance lourde.

La volonté de la Colombie-Britannique, de l’Ontario et sans doute de l’Alberta et du Québec de jeter les changements d’heure à la poubelle semble dépendre du bon vouloir du Congrès américain. 

Du côté des Maritimes, cette préoccupation n’est pas évoquée, les trois provinces ne partageant pas une même heure avec leurs voisins du Sud. Le mouvement semble irréversible.