Par Michel Lagacé

 

Durant sa longue carrière, le pionnier de la démographie au Québec, Jacques Henripin, a proposé des analyses originales et probantes de l’évolution démographique du Canada. En 1981, lorsqu’il a publié avec trois collaborateurs Les enfants qu’on n’a plus au Québec de 1945 à 1980, il a analysé le phénomène de la dénatalité qui constituait la mutation la plus profonde de la société québécoise depuis sa déruralisation.

Aujourd’hui, la décroissance de la population ne surprend plus. La population de la Chine a plafonné et pourrait diminuer de moitié d’ici la fin du siècle, tout comme celles de l’Espagne, de l’Italie, du Brésil, du Japon et de tant d’autres pays à travers le monde.

C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre le projet de loi nº 96, la Loi sur la langue officielle et commune du Québec, le français, déposé à l’Assemblée nationale du Québec le 13 mai. Face à une pénurie de main-d’oeuvre et à une population vieillissante, le Québec, comme le reste du Canada, compte sur l’immigration pour assurer son avenir économique. Ce qui fait de l’intégration des immigrants dans l’orbite francophone une préoccupation existentielle du gouvernement du Québec, qui désire faire du français « la seule langue officielle du Québec » et « la langue commune de la nation québécoise ».

Car le gouvernement du Québec considère que le français est menacé. Et pas seulement par l’immigration, puisque nombre de Québécois, surtout les jeunes, voudraient mieux connaître l’anglais pour améliorer leurs chances de succès dans un monde où cette langue est omniprésente. Le projet de loi 96 reconnaît clairement que le gouvernement du Québec craint que la force d’attraction du français s’avère insuffisante pour assurer sa pérennité.

D’où une série de mesures coercitives pour faire en sorte que le français devienne toujours plus la langue de travail. Ainsi que des limites sur les inscriptions aux établissements anglophones offrant l’enseignement collégial, au nom de l’idée que la langue normale des études supérieures doit être le français.

Pour les francophones d’ailleurs, il ne fait aucun doute que le poids du Québec dans la fédération canadienne constitue un appui de première importance sans lequel les collectivités francophones seraient à risque de disparaître d’ici quelques générations. Ils peuvent donc se réjouir que le préambule du projet de loi reconnaisse la longue histoire que le Québec partage avec les communautés francophones et acadienne du Canada. Et qu’il entend « jouer un rôle de premier plan au sein de la francophonie ».

Si on veut bien admettre que le français est menacé au Québec, il l’est d’évidence encore plus ailleurs au pays pour des raisons démographiques et par l’omniprésence de l’anglais. Depuis les années 1960, les francophones hors Québec n’ont eu d’autre choix que de compter sur la bonne volonté d’Ottawa pour maintenir leur profond attachement à leur héritage.

Les bonnes intentions manifestées par le Québec, si elles se concrétisent, seraient la preuve que le Québec a finalement compris que l’avenir du français passe par une solidarité pancanadienne et qu’il interdit le repli sur soi.