photo : Marta Guererro

Me Raven-Dominique Gobeil est membre de la Première Nation de Poplar River et a des origines métisses.

 

La découverte macabre de 215 corps d’enfants enterrés près d’un ancien pensionnat autochtone à Kamloops, a remis dans une lumière crue le besoin d’actions concrètes de la part du gouvernement fédéral.

Questions-réponses avec Me Raven-Dominique Gobeil, avocate autochtone chez Cochrane Saxberg.

 

Par Ophélie DOIREAU

 

Comment analysez-vous les discours fédéral et provincial suite à l’annonce de la découverte des 215 corps d’enfants?

Le Fédéral a émis une déclaration pour dire à quel point l’évènement était scandaleux. La déclaration a été faite alors qu’ils se sont retrouvés face à la réalité. Mais concrètement la déclaration n’a pas encore été suivie d’actions.

Surtout quand on considère tous les manquements aux droits humains qui se déroulent dans les communautés autochtones encore aujourd’hui.

Par exemple, certaines réserves sont sous un avis pour faire bouillir l’eau dans certaines régions. Je ne peux pas parler pour ces communautés. Mais amener l’eau potable dans ces régions serait une action pratique que pourrait prendre le gouvernement fédéral pour prouver un réel engagement.

Il y a aussi le fait que, le gouvernement fédéral a engagé des actions judiciaires contre des Premières Nations alors que la première étape vers la réconciliation serait de ne plus poursuivre juridiquement les Autochtones.

On parle de réconciliation, mais on voit bien qu’il y a un manque de justice.

Au niveau provincial, le Premier ministre, Brian Pallister, avait annoncé que les drapeaux au Palais législatif et au parc Memorial soient en berne et que le Palais législatif soit éclairé en orange pour honorer ces enfants.

Mais sa déclaration a été faite après que les partis d’opposition se sont exprimés sur les médias sociaux. C’est insultant pour les Autochtones. Car il est censé nous guider dans cet évènement tragique de portée nationale, ça aurait dû être sa priorité de s’exprimer sur ce sujet.

Croyez-vous à une prise de conscience au niveau national et international?

Les Canadiens ont grandi en ne sachant pas réellement ce qui s’était passé au sein de leur propre pays. Alors je comprends que certains pays ne réalisent pas que le Canada s’est construit sur un génocide des Autochtones.

La découverte de ces 215 corps d’enfants montre l’ampleur de ce que le Canada a été capable de faire aux Nations qui étaient là avant l’arrivée des colons. Oui, je pense que des consciences vont être éveillées internationalement.

Parce que le développement des réseaux sociaux a permis d’exposer davantage la vérité, puisque maintenant des histoires peuvent être partagées en quelques minutes et rester en ligne pour toujours. Il n’est plus possible pour le Canada de s’en laver les mains.

Donc une véritable prise de conscience…

Je ne sais pas s’il s’agira d’une prise de conscience totale et entière, parce qu’il reste que certaines personnes étaient déjà au courant des pensionnats autochtones et de ce qui se passait à l’intérieur. Et que beaucoup de ces personnes ont juste décidé d’oublier. Dans le cas de personnes autochtones, elles l’ont oublié pour préserver leur santé mentale.

Dans le monde le Canada est vu comme un pays très amical. Alors c’est un point qui peut jouer en sa faveur pour éviter d’entacher durablement sa réputation.

Surtout que la notion de réconciliation est relativement nouvelle dans le langage politique et même dans la vie de tous les jours.

Après cette découverte macabre, l’espoir est encore possible…

J’ai beaucoup d’espoirs. Mais mon espoir premier, c’est que les familles puissent enfin trouver la paix. Imaginez les répercussions monumentales de l’enlèvement de 200 enfants. L’impact sur la communauté est déjà dramatique.

Mais derrière ces 200 enfants, c’est 400 parents et 800 grands-parents. Et ce n’est que la famille directe. Il y a les oncles et les tantes.

Et gardons à l’esprit que ces chiffres touchent seulement pour une école. Ce qui a été fait à Kamloops, ce n’est pas une exception. Il faut imaginer maintenant le problème à l’échelle du pays. C’est peut-être ça qui a déjà conduit à un impact national.

Et de la part du gouvernement fédéral que pouvez-vous espérer?

J’aimerais que le gouvernement fédéral mettent franchement sur son radar les problématiques autochtones, plutôt que de continuer sa logique des poursuites judiciaires. On est tout autant canadiens que le reste de la population et on mérite les mêmes droits. Donnez-nous accès à de l’eau potable, respectez toutes les promesses qui ont été faites dans les traités.

Sur quels principes du droit vous baseriez-vous pour réparer cette perte?

Simplement sur les droits humains. Les principes fondamentaux des droits humains. Le Canada comme pays a laissé arriver cette tragédie. Des enfants ont été arrachés à leurs parents pour annihiler leur culture et quand ça ne fonctionnait pas on allait jusqu’à les tuer. Peut-on imaginer pire violation des droits humains?

Les principes juridiques canadiens ne semblent pourtant pas suffisants…

Non, la Common Law ne suffit pas. La Common Law a permis que ces tragédies prennent place dans notre pays. Elle a permis au gouvernement fédéral de cacher ces drames et de nier sa part de responsabilité. Et elle a permis de nier pendant longtemps le droit à la parole des survivants. La loi n’est pas le moyen de réussir à réparer cette perte.

Établir le 30 septembre comme un jour férié pour honorer les survivants des pensionnats autochtones n’est certainement pas suffisant non plus…

La Commission de vérité et de réconciliation a fini son travail en 2015 et a émis 94 recommandations. Pendant presque dix ans où le gouvernement à écouter les témoignages de survivants des pensionnats autochtones. Six ans plus tard, à peine dix de ces recommandations ont été mises en place.

On parle d’années de tragédies, et seulement dix recommandations ont été mises en place. Ça ne devrait pas arriver dans un pays comme le Canada, qui se veut si convivial.

Il nous faut des politiciens qui se positionnent ouvertement et qui plaident haut et fort en faveur des droits des Autochtones. Ça ne devrait pas être exceptionnel des politiciens favorables à la justice pour les Autochtones. Ça devrait être la norme.