Les résultats quasi-finaux qui se dégageaient mardi 21 septembre à midi montraient que les Canadiens et les Canadiennes avaient réélu un gouvernement minoritaire libéral avec 158 sièges sur 338 (1). Mais qu’est-ce que cela signifie réellement pour les Canadiens et le leadership des chefs de partis? Éléments de réponses avec Christopher Adams et Michel Lagacé.

 

Par Ophélie DOIREAU et Sophie GAULIN

Pour le commentateur politique et éditorialiste à La Liberté, Michel Lagacé, le message livré par les Canadiens le 20 septembre est clair : « Les Canadiens ne voulaient pas d’élections. Ils restent divisés et ils semblent dire avec un tel vote qu’ils souhaitent que les députés travaillent davantage ensemble. En effet, il n’est pas question d’aller en élection encore dans les prochains mois ».

Les Canadiens et Canadiennes ne sont pas étrangers aux gouvernements minoritaires.

Le professeur associé en sciences politiques à l’Université du Manitoba, Christopher Adams, effleure les gouvernements minoritaires que le Canada a connus. « Dans les dernières élections canadiennes, dans les 60 dernières années, il y a eu sept gouvernements minoritaires et neuf gouvernements majoritaires. Alors on voit que les Canadiens sont assez partagés.

« Parmi ces sept gouvernements minoritaires, il y a eu deux gouvernements minoritaires qui ont échoué : celui de John Diefenbaker en 1962 et celui de Joe Clark en 1979.

« Mais en dehors de ces deux-là, il y a des gouvernements minoritaires qui ont été de grands succès. Stephen Harper a eu deux de ses trois gouvernements comme minoritaires. Il a été capable d’accomplir ce qu’il voulait.

« Souvent, lorsqu’il s’agit d’un gouvernement minoritaire, les autres partis ont l’occasion de donner leur avis sur ce que le parti gagnant devrait faire. D’une certaine manière, cela rend le gouvernement plus créatif que si c’était un seul parti qui dirigeait. »

Mais finalement qu’est-ce qu’un gouvernement minoritaire?

« Dans la Chambre des communes, il y a 338 sièges, le parti qui gagne le plus de sièges forme en général le gouvernement. Et pour avoir une majorité, il faut avoir plus de la moitié des sièges, soit au moins 170 sièges.

« S’il y a un gouvernement majoritaire, c’est plus facile pour ce gouvernement de faire passer les gros projets de loi donc d’avoir la confiance de la Chambre.

« Mais un gouvernement minoritaire signifie que vous avez moins de sièges que la moitié. Donc il faut toujours qu’un autre parti ou des députés indépendants appuient vos projets de loi.

« Dans le cas de Justin Trudeau, son gouvernement avait souvent l’appui du Nouveau Parti démocratique pour gagner des voix. Parfois, il s’est tourné vers le Bloc québécois.

« C’est typiquement ce qui différencie un gouvernement minoritaire d’un gouvernement majoritaire.

« Quand Joe Clark a gagné son gouvernement minoritaire en 1979, il souhaitait un gouvernement majoritaire. Il pensait qu’un petit parti le suivrait dans ses décisions. Ce qui est arrivé c’est que le Parti Crédit social du Québec a voté contre son budget comme les autres partis. Son gouvernement a alors été défait. »

Les votes de confiance sont donc cruciaux pour les gouvernements minoritaires comme le rappelle Christopher Adams. « Il y a bien sûr deux votes de confiance absolus : le budget et le discours du Trône. À ces derniers s’ajoutent les lois qui sont d’une certaine importance comme des lois sur les armes ou bien celles sur la santé publique en temps de pandémie. Finalement toutes les lois qui ont un impact assez significatif sur les Canadiens. J’entends par là toutes les lois qui pourraient empêcher le gouvernement canadien d’avancer. »

Christopher Adams souligne que la durée de vie d’un gouvernement minoritaire est moindre par rapport à un majoritaire. « Les deux gouvernements minoritaires que j’ai mentionnés plus haut, ceux de John Diefenbaker et Joe Clark, ont eu une durée de moins d’un an. Mais généralement, un gouvernement minoritaire dure moins de trois ans.

« On sait que dans cette élection, les Libéraux voulaient une majorité pour continuer leur travail à la Chambre des communes. Ils ont invoqué le fait que depuis qu’ils ont été élus, la pandémie est passée et que le monde a changé.

| Crise de leadership?

« Comme les Libéraux sont de nouveau minoritaires, il y aura des questions à poser pour savoir si Justin Trudeau est un handicap ou un avantage pour le parti », avance Christopher Adams.

Michel Lagacé détaille : « Justin Trudeau a perdu de l’autorité morale qu’il avait pour gouverner parce qu’il a perdu son pari de former un gouvernement majoritaire. Donc à l’avenir il ne pourra pas menacer les partis d’Opposition d’aller en élection. Et de là, il passe en position de faiblesse. C’est là que son leadership risque d’être contesté. »

« Et s’il est un handicap pour le parti plus qu’un avantage, je pense qu’il y aura des inquiétudes au sein du parti sur le leadership. Nous pourrions donc voir une course à la tête du Parti libéral dans les deux prochaines années, explique Christopher Adams

« Quant au parti conser-vateur, il y aura de sérieuses questions au sein du parti sur le leadership d’Erin O’Toole. »

Michel Lagacé entrevoit lui aussi de potentielles difficultés pour le chef du Parti conservateur : « O’Toole n’a pas non plus gagné sa gageure. Il va avoir des difficultés à maintenir une discipline dans son parti. Parce que son parti était très divisé avant l’élection et maintenant les différentes factions se sentiront libres de contester son leadership. Tant que les Conservateurs voyaient une élection s’en venir ils n’osaient pas contester le leadership d’O’Toole mais maintenant ils se sentiront plus libres de le faire. »

(1) À l’heure de passer sous presse le lundi 20 septembre à minuit, les Libéraux détenaient 157 sièges, les Conservateurs 122 sièges, le Bloc québécois 31, Les Néo-démocrates 26 et les Verts 2 sièges.