L’éducation postsecondaire en contexte francophone minoritaire est à un « moment charnière » de son existence et il y a urgence d’agir pour profiter de la conjoncture favorable à la mise en place de nouvelles stratégies. C’est ce qu’ont évoqué des participants de l’évènement inaugural des États généraux sur le postsecondaire en milieu francophone minoritaire au Canada, orchestrés par l’ACUFC et la FCFA, qui culmineront les 24 et 25 mars prochains par un Sommet sur la question.

 

Par Ericka MUZZO – Francopresse

 

Déjà fragiles en raison d’un sous-financement chronique, les établissements qui desservent les communautés francophones en situation minoritaire (CFSM) traversent une véritable tempête depuis le début de la pandémie.

« Les derniers mois ont mis deux éléments en lumière. D’une part, les CFSM sont inquiètes pour l’avenir des établissements postsecondaires en contexte francophone minoritaire. D’autre part, ces établissements craignent de ne plus disposer de moyens d’agir suffisants pour maintenir et accroitre leurs contributions à la société canadienne », soulignent l’Association des collèges et universités de la francophonie canadienne (ACUFC) et la Fédération des communautés francophones et acadiennes (FCFA) du Canada dans le document préparatoire de l’évènement inaugural des États généraux sur le postsecondaire en milieu francophone minoritaire au Canada.

Six ateliers virtuels auront donc lieu d’ici au 2 février 2022 pour faire le point sur la situation et réfléchir aux solutions à mettre en place pour assurer l’avenir des 22 collèges et universités de la francophonie canadienne.

Quatre forums citoyens seront également organisés, et la démarche culminera les 24 et 25 mars 2022 par le Sommet des états généraux sur le postsecondaire en contexte francophone minoritaire.

Maximiser le potentiel du réseau

Plusieurs pistes de réflexion ont déjà été lancées lors de la table ronde du mercredi 22 septembre : création de partenariats entre les divers établissements, avec les associations franco-canadiennes et avec les communautés ; création de programmes transdisciplinaires et transétablissements ; virage numérique et conscientisation des communautés, notamment.

Impossible toutefois de passer sous silence l’enjeu du financement : « Les subventions ponctuelles, c’est bien, mais ça ne règle pas le problème. On doit consolider le réseau actuel, le développer, et les gouvernements doivent prendre leurs responsabilités […] On ne peut plus dépendre des humeurs des partis politiques en place », a lancé d’entrée de jeu Jacques Frémont, recteur et vice-chancelier à l’Université d’Ottawa.

« Je pense que le réseau de l’ACUFC est un atout absolument incontournable – on se connait, on travaille ensemble en santé, de plus en plus en justice. Et il y a un potentiel énorme de travailler ensemble beaucoup plus, je pense que l’avenir est là […], mais on a besoin d’un financement stable et prévisible pour maximiser ses capacités », a-t-il ajouté par la suite.

La présidente de la FCFA, Liane Roy, s’est fait l’écho de cette idée en soulignant l’importance de bâtir sur les associations déjà existantes, mais aussi en soulignant qu’« il y en a, de l’argent. Il faut trouver un moyen ensemble d’aller le chercher et de s’assurer que ces fonds-là deviennent permanents ».

Si l’ensemble des intervenants se sont entendus sur « l’urgence » de la situation, plusieurs ont aussi tenu à souligner la conjoncture favorable à la mise en place de nouvelles pratiques, notamment en raison de la disponibilité prochaine de 121,3 millions $ annoncés par le fédéral.

« Il faut battre le fer quand il est chaud et aller chercher les ressources nécessaires auprès du fédéral […] initialement pour toute la dimension de collaboration, partage et cocréation pour développer la pleine capacité du réseau », a réitéré Pierre Zundel, président-directeur général du Collège communautaire du Nouveau-Brunswick.

Il a aussi souligné une conjoncture d’ouverture du Québec envers la francophonie canadienne, « où certains partages et certaines collaborations pourraient nous aider ». Le Sommet sur le rapprochement des francophonies canadiennes a d’ailleurs eu lieu en juin dernier.

Pour Pierre Zundel, il sera primordial de partager les meilleures pratiques et de penser à cocréer des programmes répondant aux besoins sur le terrain. « Pour développer la pleine capacité du réseau, il faudra assouplir nos structures, nos façons de faire, être plus flexibles », a-t-il averti.

Jacques Frémont a renchéri en posant la question de savoir si le fédéral pourrait avoir une responsabilité plus directe, voire « constitutionnelle » de jouer un rôle de première ligne dans la survie des CFSM. « Ils ne se gênent pas pour la santé, pour la justice […] Ils sont responsables des langues officielles », a rappelé le recteur.

Conscientiser les communautés

Étudiante à la maitrise et coordonnatrice de l’Observatoire Nord/Sud de l’Université Sainte-Anne, Audrey Paquette-Verdon a pour sa part soulevé que les solutions devront provenir du terrain et qu’il faudra « écouter les étudiants et les professeurs ».

« L’une des plus grandes failles, c’est l’accueil et l’intégration des étudiants internationaux. Il faut conscientiser les communautés à l’importance de l’immigration, car, en ce moment, la rétention est rare », a-t-elle défendu.

L’étudiante a aussi rappelé l’importance de s’assurer que les communautés soient au courant des difficultés que connaissent plusieurs établissements postsecondaires, et des impacts qu’ont ces obstacles pour la vitalité des CFSM.

Si l’ensemble des intervenants ont qualifié de « force » que la plus petite taille des établissements leur permette un meilleur ancrage dans leurs communautés, et ont flatté la « débrouillardise » de plusieurs collèges et universités, ils ont également souligné que cette aptitude peut nuire à leur développement.

« Je rêve d’un changement de culture : développer collectivement une vision et qu’on puisse passer d’une culture de survie à une culture de développement et d’émancipation. On est années d’être à la traine, il serait temps qu’on soit en contrôle et qu’on décide de la destinée de l’enseignement postsecondaire et des communautés […] Les États généraux nous permettront d’affirmer haut et fort quels sont les besoins consensuels du milieu et de tracer la voie à suivre pour l’avenir », a martelé Jacques Frémont.

Des priorités « claires et rassembleuses »

C’est cette marche à suivre qu’espèrent tracer l’ACUFC et la FCFA au fil des évènements qui composeront les États généraux.

Questionnés à savoir ce qu’ils espèrent voir ressortir de cette démarche, les participants à la table ronde ont nommé l’importance d’en faire un exercice citoyen, de voir et d’entendre les membres des CFSM dans toute leur multiplicité.

« Il nous faut une vision qui repose sur les besoins et les aspirations de la francophonie canadienne et des francophonies locales », a résumé Liane Roy.

La présidente de la FCFA a aussi souligné l’importance d’effectuer des recherches sur l’éducation postsecondaire francophone elle-même, sur les établissements et sur ceux qui les fréquentent : « Qui vient dans nos collèges et universités? Qui ne vient pas? »

À son sens, des données probantes permettront de mieux orienter les stratégies.

Pierre Zundel a également mentionné qu’il faudra « converger vers des priorités claires et rassembleuses, vers des revendications pointues, et organiser la collaboration pour les mettre en œuvre », et ce, tout en prenant en compte les spécificités de chaque communauté et de chaque établissement.

Dans les mots de Jacques Frémont : « Tout est possible! » À raison d’environ un atelier par mois, les États généraux tenteront de créer un espace pour imaginer les possibilités et les manières de les concrétiser pour assurer la vitalité du postsecondaire francophone en situation minoritaire.

Francopresse est le partenaire médiatique officiel des États généraux sur le postsecondaire en milieu francophone minoritaire.