Avant la pandémie, les élèves des écoles francophones en milieu minoritaire avaient déjà un niveau de lecture inférieur à ceux des élèves fréquentant des établissements scolaires anglophones, selon un rapport paru récemment. La crise sanitaire a accentué ce fossé et creusé les inégalités entre les élèves qui performent le mieux et le moins bien.

Marine Ernoult – Francopresse

Dans l’ensemble des dix provinces canadiennes, les élèves des systèmes scolaires de langue majoritaire affichent de meilleurs résultats en lecture que ceux des écoles francophones en situation minoritaire.

C’est ce que révèle un rapport du Programme pancanadien d’évaluation, publié le 12 octobre dernier par le Conseil des ministres de l’Éducation. Environ 30 000 élèves canadiens de 8e année, scolarisés dans près de 1600 établissements scolaires, ont participé à cette étude nationale réalisée en 2019.

Gail Cormier, professeure adjointe en éducation à l’Université de Saint-Boniface, appelle néanmoins à interpréter ces résultats avec « prudence » : « Les tests ne sont pas forcément adaptés aux connaissances des jeunes bilingues, qui sont majoritaires [dans les écoles francophones] en milieu minoritaire. Quand un élève apprend deux langues en même temps, il peut avoir certains retards qu’il finit par rattraper. »

Des jeunes éloignés du français

Depuis, la pandémie de COVID-19 a complètement changé la donne. Dix-neuf mois de perturbations dans les écoles et de fermeture des classes et des bibliothèques scolaires ont plus que jamais fragilisé les compétences de lecture des élèves en situation minoritaire.

«Leur niveau de littératie a particulièrement baissé, car ils n’ont pas eu accès à des livres en français et à la culture francophone pendant de longs mois», analyse Isabelle Carignan, professeure en didactique du français à l’Université TÉLUQ.

« Les parents n’avaient pas forcément le temps et les moyens d’aider leurs enfants à lire et à travailler l’écriture », ajoute celle qui est aussi professeure associée à l’Université Laurentienne.

Un constat partagé par Gail Cormier : « En situation minoritaire, de nombreux jeunes vivent en anglais à la maison. L’école est pour beaucoup d’entre eux le seul lieu de socialisation où ils sont exposés au français. »

Une étude pancanadienne menée actuellement auprès de 1100 participants par l’Université TÉLUQ, en partenariat avec les universités de Moncton, Sherbrooke et du Québec à Montréal, confirme les difficultés accrues de certains élèves en milieu minoritaire depuis le début de la crise sanitaire.

Avant la pandémie, les 301 enseignants francophones interrogés dans le cadre de la recherche estimaient que 67,2 % de leurs élèves rencontraient des difficultés scolaires, un chiffre qui s’élève aujourd’hui à 80,4 %. La lecture et l’écriture arrivent en tête des matières où les difficultés sont les plus prononcées.

Redonner confiance

Du côté des 583 parents francophones ayant pris part à l’enquête de la TELUQ, le ressenti est similaire. Près de 52 % d’entre eux considèrent que leurs enfants rencontrent présentement des difficultés scolaires, alors qu’ils n’étaient que 35 % à le penser avant la crise sanitaire.

« Mais ils ne parlent pas de curriculum ; ils s’inquiètent plus de la démotivation, du manque d’attention et de l’anxiété de leurs enfants », détaille Isabelle Carignan, coautrice de l’étude.

L’école à distance et les efforts mis en œuvre par les enseignants pour assurer la continuité pédagogique n’ont pas totalement réussi à amortir les effets délétères de la COVID-19. « C’est un défi d’inciter des jeunes à lire, parler et écrire lorsqu’ils sont seuls face à un écran, surtout en milieu minoritaire où ils peuvent être victimes d’insécurité linguistique », explique Gail Cormier.

Dans une salle de classe, les enseignants guident la conversation et sont en mesure d’analyser le langage non verbal de leurs élèves, chose qui est beaucoup plus difficile à faire en ligne. « Ils ont dû développer de nouvelles stratégies pour motiver leurs étudiants, réussir à aider ceux qui ont accumulé de gros retards en littératie », poursuit la professeure en éducation.

La chercheuse de l’Université de Saint-Boniface codirige en ce moment une étude sur l’expérience des enseignants en situation minoritaire en temps de pandémie. Avec une collègue de l’Université Sainte-Anne en Nouvelle-Écosse, Andrea Burke-Saulnier, elle interroge présentement 40 enseignants francophones, la moitié au Manitoba, l’autre en Nouvelle-Écosse.

Le virtuel à la rescousse?

« Lors de la première fermeture des établissements scolaires, à faire la bascule vers l’enseignement à distance. Ils ont dû s’adapter du jour au lendemain pour maintenir le lien », observe Gail Cormier.

À ses yeux, avec la généralisation des plateformes en ligne, qui conjuguent classe virtuelle et ressources numériques, ils sont désormais « mieux préparés ».

Mais l’autre inquiétude des chercheuses, c’est le creusement des inégalités scolaires en raison de la COVID-19. « La pandémie a accentué l’écart entre les bons et les mauvais élèves, il n’y a plus d’élèves moyens », constate Isabelle Carignan.

Gail Cormier s’interroge elle sur la capacité réelle à « aller chercher » les enfants les plus en difficulté : « Ils ont été enlevés des écoles pendant très longtemps, comment vont-ils reprendre pied sur le long terme, réapprendre ce qu’ils ont désappris, se tourner à nouveau vers le français et avoir un niveau de littératie correct? »

Selon elle, des solutions restent encore à inventer : « Il ne faut pas nécessairement retourner au crayon et au papier, on peut imaginer des espaces francophones virtuels afin de permettre aux jeunes de pratiquer la langue. »

Sur le terrain, l’enjeu est considérable : des compétences de lecture qui ne sont pas consolidées fragilisent les apprentissages à venir, dans toutes les disciplines et pas seulement en français.