FRANCOPRESSE – Les communautés francophones minoritaires se questionnent toujours sur les manières de mieux accueillir les immigrants, tout en tenant compte des différentes francophonies au pays. Les services et les opportunités d’emploi varient beaucoup d’une région à l’autre, mais plusieurs ressemblances existent tout de même, de la Colombie-Britannique au Nouveau-Brunswick.
Inès Lombardo – Francopresse
Le Centre de recherche en civilisation canadienne-française (CRCCF) et la Chaire de recherche sur l’immigration et les communautés franco-ontariennes de l’Université d’Ottawa se sont penchés sur la question le 4 novembre, à l’occasion de leur deuxième de trois journées d’étude sur l’immigration et les communautés francophones minoritaires. La prochaine est prévue le 2 décembre.
Soukaina Boutiyeb, présidente de l’Association des communautés francophones d’Ottawa (ACFO Ottawa) et directrice générale de l’Alliance des femmes de la francophonie canadienne (AFFC), a d’emblée rappelé que « le parcours d’un ou d’une immigrante Ottawa est totalement différent d’une personne qui est dans la région de Kapuskasing, notamment dans les services ».
Au niveau des défis rencontrés par les personnes immigrantes, elle a rappelé les quatre défis mis en lumière dans le Plan stratégique communautaire en immigration francophone 2018-2023 de la Fédération des communautés francophones et acadienne (FCFA) du Canada, «cette ligne commune de l’intégration des immigrants et du travail qui doit être fait».
Ces quatre défis sont la promotion des régions aux immigrants, inéquitable d’une région à une autre ; le recrutement ; l’accueil, avec notamment des défis de racisme et de sexisme latents ; et l’intégration économique et socioculturelle.
En tant que présidente de l’AFFC, Soukaina Boutiyeb a tenu à présenter un cinquième obstacle : « La question de l’écart entre le besoin et le service, surtout pour les femmes immigrantes. Les services ou les politiques publiques du gouvernement ne prennent pas en compte la lentille de genre […] et encore moins la lentille francophone en situation minoritaire. »
Des défis d’inclusion latents
Leyla Sall, professeur agrégé de sociologie à l’Université de Moncton, au Nouveau-Brunswick, a appuyé les propos de Mme Boutiyeb : les défis d’inclusion et de rétention existent toujours, notamment en raison des différentes configurations des régions.
Il fait observer que la francophonie néobrunswickoise et celle de la Colombie-Britannique ont «deux configurations extrêmes» : au Nouveau-Brunswick, 31,8 % de la population a le français comme langue maternelle, mais les immigrants ne représentent que 2,0 % des francophones.
C’est le contraire en Colombie-Britannique, qui compte 1,4 % de francophones de langue maternelle. Les francophones nés à l’étranger y comptent toutefois pour 28 %.
Selon le professeur Sall, le cœur de l’intégration reste le marché du travail, « ultra dominé par l’anglophonie, donc ça pose des problèmes d’intégration. […] Le nerf de la guerre, c’est l’emploi. L’intégration pour moi est essentiellement économique, car sans elle, les autres dimensions de l’intégration comptent pour zéro ».
À ces défis d’inclusion qui perdurent s’ajoute le racisme dans le marché du travail. Le professeur néobrunswickois cite le cas d’enseignants immigrants qui se sont fait demander en Acadie : « Comment allez-vous transmettre la culture acadienne à nos élèves? »
Les compressions réduisent l’immigration
Côté franco-albertain, Valérie Lapointe-Gagnon, professeure agrégée en histoire et droits linguistiques à la Faculté Saint-Jean, a rappelé que même s’il y a une reconnaissance de la francophonie en Alberta, « l’État ne donne pas les outils ».
L’approche inclusive des immigrants est d’autant plus importante, indique-t-elle, car le Campus Saint-Jean offre le programme de diplôme de formation en éducation, un diplôme qualifiant sur deux ans.
« Ce diplôme est extrêmement fréquenté par les nouveaux arrivants, sachant que 30 % de la population du Campus Saint-Jean provient de l’immigration », explique-t-elle.
Or, le campus est affecté depuis des années par des compressions massives qui réduisent son offre de cours.
« Le gouvernement a ainsi dit à l’administration du campus qu’on ne pouvait pas financer davantage et qu’il fallait donc réduire les admissions. Ça vient porter un coup dur à cette mission d’intégration que peut remplir le Campus Saint-Jean », indique Valérie Lapointe-Gagnon.
« On est financés pour parler de ce qui nous divise »
François Charbonneau, codirecteur de l’axe Francophonies minoritaires, histoire et politiques des langues et professeur adjoint à l’École d’études politiques de l’Université d’Ottawa, a davantage remis en question la francophonie accueillante : « Quand vous parlez de communauté, j’ai envie de vous demander ce que ça veut dire. Il y a des mots qu’on tient pour acquis en francophonie, on parle de “vitalité”, etc. Et souvent, on n’a pas les réponses à ces questions ».
À la question des différences régionales dans l’inclusion et l’accueil des immigrants, lui s’est plutôt interrogé : « Pourquoi on n’insiste pas davantage sur les ressemblances de l’expérience d’immigration [et sur] celle du défi du Canada français dans l’accueil des immigrants? »
« On parle constamment en francophonie canadienne de ce qui nous divise, on ne fait que ça. Et on est financés pour parler de ce qui nous divise! » s’est emporté François Charbonneau.
Ce rêve d’unité a déjà existé à travers la Commission Laurendeau-Dunton, a rappelé Valérie Lapointe-Gagnon.
« [C’était] pour matérialiser l’idée de deux communautés d’accueil, dont une francophone plurielle, qui ne mènerait pas à l’assimilation, mais bien à l’intégration pour réconcilier la langue avec l’identité et la langue et la culture. »
Mais le tout a dérivé et « a privé la communauté francophone de sa capacité d’accueil [en menant] certaines branches dans un repli identitaire et à des tensions qui ressortent aujourd’hui] », a-t-elle déploré.
En réponse à François Charbonneau, Leyla Sall a recadré. « Tu tires à boulets rouges sur le fédéral, mais les francophonies minoritaires canadiennes sont devenues des communautés d’accueil d’immigrants par la Loi sur les langues officielles [amendée en] 1988, qui dit que le gouvernement fédéral doit prendre des mesures positives pour accélérer la vitalité de ces communautés-là, et par la Loi sur l’immigration […]. Le fédéral ne fait pas que nous diviser ».