Par Bernard BOCQUEL

Parler tout simplement des « Autochtones » à l’heure de la réconciliation est un raccourci trop facile, tant il existe une large diversité de Premières Nations. Il est tout aussi réducteur de dire les « Métis ». À preuve l’histoire de l’Union nationale métisse Saint-Joseph du Manitoba, qui marquera cette année les 135 ans de son existence.

Paulette Duguay est depuis décembre 2013 présidente de la plus ancienne organisation métisse au Canada, qui se trouve être également la doyenne des organismes francophones du Manitoba, fondée en 1887 dans le prolongement du traumatisme de la pendaison de Louis Riel.

À cette époque-là, l’élément anglophone anti-français et anti-catholique n’avait pas encore totalement pris le contrôle politique de la province née de la résistance des Métis canadiens-français.

Toutefois, les Ontarians protestants qui avaient vu d’un très mauvais oeil la fondation du Manitoba avaient déjà mis sur la défensive non seulement les gens habitant depuis des générations le pays de la Rivière-Rouge, mais aussi les Canadiens français du Québec et des États-Unis venus se refaire une existence dans l’Ouest.

Les fondateurs de l’Union métisse, tous nés au temps de la Colonie de la Rivière-Rouge, étaient très conscients que la volonté hégémonique sur l’Ouest de la jeune Confédération canadienne (établie en 1867) les avait dans les faits condamnés à la résistance à perpétuité. Francophones, élevés dans l’orbite de l’Église catholique romaine, ils étaient nés du mauvais côté de la clôture. Eux qui étaient à la source du Manitoba bilingue censé protéger leurs droits, se retrouvaient pour ainsi dire envahis de l’intérieur.

Cette vérité historique sur la naissance du Manitoba, Paulette Duguay l’a reçue en héritage, particulièrement de sa mère, France Lemay, la fille d’Auguste Vermette, le raconteur d’Au Temps de la Prairie, publié aux Éditions du Blé.

« Je suis l’arrière-petite-nièce de Louis Riel. Dit autrement, mon arrière-grand-mère Eulalie était la soeur de Louis Riel. J’ai succédé à Gabriel Dufault à la présidence de l’Union après les célébrations du 125e.

« Durant sa présidence qui a duré onze ans, Gabriel avait réussi à obtenir quelques fonds du Fédéral à travers l’Interlocuteur des Métis pour des projets ponctuels. Mais parce que le gouvernement fédéral a pris le parti de la Manitoba Métis Federation, malgré plusieurs tentatives, l’Union nationale n’a pas réussi à s’assurer des fonds de fonctionnement.

« Il faut dire que je suis devenue présidente à une bonne époque pour les Premières Nations et les Métis en général. À force de discussions entourant le besoin de réconciliation avec le monde autochtone, une ouverture collective s’est progressivement produite dans la société canadienne.

« Après quelques années à la présidence, quand il nous est devenu clair que la voie ouverte par Gabriel Dufault avait frappé un mur, je me suis tournée vers les représentants d’organismes francophones, qui étaient tout à fait conscients de la question de la réconciliation. « D’autant plus conscients qu’ils comprenaient très bien ce que ça veut dire de devoir lutter pour être reconnus dans une province où la légitimité de la francophonie remonte à la résistance des Métis canadiens-français. À ces gens-là, je demandais : Comment ça se fait que l’Union nationale métisse n’est pas dans le réseau francophone?

« Il fallait bien qu’ils reconnaissent que l’Union était en mesure d’offrir un service culturel unique en français, distinct des organismes existants. Avec leur appui, l’Union nationale a frappé à la porte de Patrimoine canadien, dont une des responsabilités est d’appuyer le bilinguisme. Dans le cadre du Programme des langues officielles, Patrimoine canadien nous a versé en 2019 un octroi d’un an, d’un total de 125 000 $. Ils ont donc validé notre engagement à continuer à conserver la culture métisse dans sa dimension francophone. Précisément, la dimension qui nous distingue des autres Métis.

« Nous avons donc pu embaucher du personnel, établir une programmation, louer la salle Neil-Gaudry du Centre du patrimoine, qui est devenue nos bureaux. Bien sûr il a fallu faire nos preuves. Nous avons su donner satisfaction à nos bailleurs de fonds, puisque Patrimoine canadien nous a ensuite accordé une enveloppe pluriannuelle de trois ans à raison de 125 000$ par an, qui se conclura en 2022-2023. À ce moment-là, je souhaite que l’appui à long terme du Fédéral en faveur de l’Union sera devenu tout aussi évident que pour la Société de la francophonie manitobaine. »

Un colloque avait été planifié en 2020 par les Fidèles à Riel pour saluer les 150 ans du Manitoba. Bien entendu, avec l’objectif de remettre en lumière la contribution déterminante des Métis de la Rivière-Rouge à la naissance de la Province du Milieu, la bien nommée Clé de voûte (Keystone) de ce Canada qui s’étire immensément d’un océan à l’autre. Pour cause de pandémie, l’évènement a été reporté à une date ultérieure.

Après l’annulation du pique-nique de 2020 et sa version virtuelle en 2021, les responsables de l’Union se croisent les doigts pour que la rencontre sociale entre les générations puisse à nouveau avoir lieu cet été, au parc Vermette à Saint-Vital, afin de souligner en grand le 135e anniversaire de l’organisation.

Dans la longue histoire de l’organisation, les pique-niques annuels ont joué un rôle de première importance pour entretenir la flamme de la résistance culturelle. Dans les premières décennies, les pique-niques étaient tout naturellement précédés d’une messe solennelle en l’honneur du saint patron de l’Union. En 1920, au 50e anniversaire du Manitoba, La Liberté rapporte que l’archevêque de Saint-Boniface, Mgr Arthur Béliveau, « exhorte la nation métisse de toujours rester unie comme par le passé aux autres groupes catholiques pour sauvegarder la foi chrétienne en s’attachant à la langue, seul rempart. »

| Des présidences sans faille

À partir de 1932, la tradition des pique-niques, nettement moins axée sur la dimension religieuse, s’est poursuivie sur un terrain concédé à l’Union nationale métisse par la municipalité de Saint-Vital nommé parc Riel. C’était la première fois que le nom du fondateur du Manitoba était associé à un espace public. Bon an, mal an, l’évènement social par excellence dans le monde métis s’est tenu jusqu’en 1966.

Faute de bénévoles et face à un monde lancé dans une modernité se détournant de cette forme de rencontre sociale longtemps très populaire dans la société manitobaine en général, les Fidèles à Riel vont se contenter d’autres moyens pour faire valoir leur présence dans la société.

C’est en 2001 sous la présidence de Guy Savoie (octobre 1999 à octobre 2002) qu’a pu reprendre la grande tradition des pique-niques, vécue alors comme un acte culturel, comme une façon concrète de renouer avec la grande époque de l’organisation, qui avait connu quelques décennies d’effacement.

Le tournant du millénaire a d’ailleurs coïncidé avec une renaissance de l’Union nationale métisse, avec l’implication de personnes comme Claude Forest (président d’octobre 1996 à octobre 1999) et de son cousin Gabriel Dufault, dont la présidence (octobre 2002 à novembre 2013) a été notamment soutenue sans faille par Paul Desrosiers et l’ensemble de sa famille ; ainsi que par Robert Allard.

En 2012, à l’occasion du 125e de l’organisation, a été publié aux Éditions de La Fourche Les Fidèles à Riel, un récit journalistique signé Bernard Bocquel dont le but était de documenter l’engagement d’une kyrielle de passionnés désireux de réhabiliter la mémoire de l’homme pendu à Regina le 16 novembre 1885. Une date devenue peu à peu incontournable pour les pouvoirs publics dans les années qui ont suivi les commémorations du centenaire de la pendaison du parent de Paulette Duguay.