Le nom d’Albert McLeod résonne dans la tête des militants pour les droits des personnes 2SLGBTQ+. Il s’est notamment impliqué dans la démocratisation du mot bispirituel auprès des Autochtones et des non Autochtones
Par: OPHÉLIE DOIREAU
S’il semble que le terme bispirituel est récent dans le langage courant, le concept lui, ne l’est pas. Bien avant la colonisation au Canada, des personnes autochtones s’identifiaient bispirituelles sans le nommer de cette manière. Bispirituel est une traduction du mot anishnabek niizh manidoow qui signifie « deux esprits ».Il désigne les personnes autochtones de l’Amérique du Nord qui incarnent à la fois un esprit féminin et un esprit masculin ou dont l’identité de genre, l’orientation sexuelle ou l’identité spirituelle n’est pas limitée à la binarité masculin/féminin.
Dans une volonté de réappropriation de leur culture, suite à des politiques d’assimilation mises en place pendant des années par le gouvernement fédéral, Albert McLeod a contribué à développer le terme bispirituel dans les années 1990, mettant un nom sur sa propre identité.
« J’ai toujours eu conscience de qui j’étais. Dès mon plus jeune âge. J’ai fait mon coming out à l’âge de 15 ans comme homme gay. Je me suis toujours identifié comme gay.» C’est par nécessité de la société qu’il a dû mettre un mot sur ce qu’il était.
« J’ai compris très rapidement que j’étais un homme avec une part féminine en moi, qui était un héritage de mes ancêtres. Bien que je m’identifie comme un homme cisgenre, mon identité est construite avec des parts féminines que je ne peux pas renier.
« Avant la colonisation, c’était quelque chose de très commun que les garçons suivent les pas des femmes, et que les filles suivent les pas des hommes. Ce n’était pas quelque chose d’unique, c’était commun et personne ne se posait des questions.»
Avec l’arrivée des colons au17esiècle, les interactions avec les personnes bispirituelles sont documentées par des écrits ou encore des notes de voyage. C’est vers le 19e siècle que le phénomène est de moins en moins présent dans des écrits et pour cause, des outils d’assimilation comme les pensionnats autochtones viennent faire taire la culture bispirituelle des Autochtones.
« Ce n’est pas juste en Amérique du Nord, c’est partout où des communautés autochtones sont présentes dans le monde. »
« Au Canada précisément, des outils ont été pensés parle gouvernement fédéral et par l’Église catholique pour que notre nature profonde soit détruite. Tout ce qui faisait notre identité devait être détruit pour être construit à leur image.»
Après des années d’effacement de leur culture, des personnes autochtones ont tenté de mettre un mot sur leur identité. Albert McLeod a participé à cet effort.
« Une partie de la culture autochtone est d’honorer et de reconnaître que nous dépendons de la nature et de l’esprit. À la naissance, nous recevons un nom spirituel parles Aînés qui nous servira de guide spirituel.
«Quand le mouvement LGBTQ a débuté dans les années 1960 en Amérique du Nord, il y avait des termes pour décrire presque toutes les catégories de personnes : transgenre, gay, lesbienne. Il manquait cependant quelque chose pour les personnes autochtones. Un mot qui montrait notre lien au monde spirituel et à l’appartenance à notre communauté.
«C’est donc dans les années1990, lors de la Intertribal Native American, First Nations, Gay and Lesbian American Conférence tenue à Winnipeg, que le terme en anglais two-spirita été apporté. C’est l’aînée anishinaabe, Myra Laramee, qui a eu une vision dans un rêve d’un esprit qui est venue à elle pour lui apporter ce terme. Depuis 1990, ce terme a été adopté par les communautés 2SLGBTQ+, partout dans le monde. »
Le terme bispirituel était né. Pourtant, il fallait encore continuer de travailler pour le diffuser, et le faire accepter dans tous les milieux. Là encore, Albert McLeod a fait sa part en menant des recherches et des manuels scolaires sur plusieurs aspects du terme bispirituel comme l’histoire, la philosophie et la sociologie. Il a également siégé sur le conseil consultatif du gouvernement du Canada qui a mené à la présentation d’excuses pour les injustices subies par les communautés2SLGBTQ+, adressées par Justin Trudeau en novembre2017.
Il reste cependant encore du travail pour que les personnes qui s’identifient 2SLGBTQ+puissent vivre pleinement leur vie sans être sujets à des discriminations. Statistique Canada rapportait en 2018,qu’environ un million de Canadien(ne)s s’identifiaient2SLGBTQ+, soit environ 4 %de la population canadienne.41 % des Canadien(ne)s2SLGBTQ+ avait un revenu personnel total de moins de 20 000 $ par an, contre26 % pour les personnes qui ne s’identifiaient pas 2SLGBTQ+.
Avant la pandémie, 27 % des Canadien(ne)s 2SLGBTQ+étaient susceptibles d’avoir connu un certain type d’itinérance, contre 13 %pour des Canadiens qui ne s’identifiaient pas 2SLGBTQ+.
Albert McLeod se montre toutefois confiant. « J’ai espoir dans la jeunesse. Je sais qu’ils accompliront encore plus de travail que nous avons pu faire. Il y aura toujours des personnes pour militer pour nos droits. »