Au cœur du Musée des beaux-arts de Winnipeg (WAG) se niche depuis le 19 mars 2022 une nouvelle exposition : Kwaata-nihtaawakihk – A Hard Birth. (1) Prévue initialement pour commémorer les 150 ans du Manitoba, elle a été reportée suite à la pandémie de COVID-19 et prend place jusqu’au 3 septembre prochain. L’absence du français dans cette exposition a aussi été source de frustration.

Par : MATTHIEU CAZALETS

Cette exposition a été imaginée par deux commissaires spécialistes de l’histoire de l’art : Sherry Farrell Racette, professeure agrégée à l’Université de Regina et Cathy Mattes, écrivaine et professeure agrégée à l’Université de Winnipeg.

Cathy Mattes est métisse et par l’art elle souhaite transmettre un message. « Notre but est vraiment, par les œuvres d’art, d’emmener les gens, qu’ils considèrent notre narrative et notre expérience en tant que Métis. »

C’est à l’intérieur d’un immense espace du 3e étage du Musée des beaux-arts de Winnipeg que sont exposées des œuvres d’art et des documents historiques sur plusieurs supports. Dans une démarche artistique, les commissaires ont cherché à célébrer l’histoire métisse sous toutes ses formes et tous ses aspects : « Nous voulions proposer quelque chose peut-être de différent que le discours plus conventionnel sur la fondation du Manitoba. Avec l’art, et la langue mitchif de nos ancêtres. »

Kwaata-nihtaawakihk décrit en mitchif une naissance difficile, un mot donné par l’aînée Verna DeMontigny. Un premier symbole de cette volonté de rendre compte de la narrative métisse dans sa diversité : « Le mitchif du sud du Manitoba était la langue que parlait ma grand-mère. Donc c’était très important pour moi, personnellement, d’avoir le titre de l’exposition dans ce mitchif. De plus, le titre seul A Hard Birth prend une connotation genrée. Dans l’histoire de fondation du Manitoba, centrée sur le rôle des hommes, il y avait aussi des femmes. »

Photographies, documents d’époque, habits traditionnels métis, et même un film d’animation Four faces of the moon, signé Amanda Strong, la diversité de l’exposition est impressionnante. Encore une fois, un vrai objectif pour Cathy Mattes et son équipe :

« Avec de l’art contemporain et de l’art ancestral, ce n’est pas une exposition de musée, c’est une exposition d’art. Cela a été créé en considérant des aspects de la province, mais cela ne représente évidemment pas toute la narrative. C’est une vision métisse, une vision de femme et une vision artistique. »

Le résultat d’un travail de recherches fastidieux, surtout en temps de pandémie : « On est tellement reconnaissante à tous les musées, aux galeries et aux personnels qui ont donné leur temps et leur expertise. Des musées et galeries ont fermé pendant la COVID-19 et certains employés ont été licenciés. Peu importe leurs propres préoccupations, ils sont restés engagés dans leur travail. Nous nous sommes sentis si chanceuses. »

De grandes tables trônent au fond de l’espace de l’exposition. Car au-delà de l’aspect artistique, Kwaata-nihtaawakihk se veut aussi être un lieu de rencontres et d’échanges. La commissaire précise : « Notre volonté, c’est de rassembler les gens. Faire des évènements, des ateliers d’art, et des discussions évidemment.

« Il y a aussi ce qu’on appelle l’exposition des trésors familiaux. On invite des personnes métisses à apporter les objets de famille et à les présenter, que ce soit du travail de leurs ancêtres ou le leur qui est peut-être plus contemporain.

« Notre travail en tant que commissaires, c’est de continuer d’en faire un lieu de rencontre et un endroit pour la connaissance. Le débat et le dialogue sont ouverts ici. »

| L’absence du français

Cathy Mattes évoque aussi la question de l’absence de traduction en français des textes explicatifs des œuvres et des documents. Elle dit être consciente de cette problématique, mais ajoute : « La manière dont le débat français-anglais a été amené était un peu blessant en tant que commissaire ou artiste. Certains d’entre-nous partagent des ancêtres avec certaines personnes qui ont envoyé des lettres de mécontentement.

« Le WAG n’a aucune obligation de bilinguisme. On aurait aimé avoir différentes variantes de la langue mitchif si ça avait été possible. Mais la langue est proche de l’extinction donc cela n’est pas possible. On veut faire passer notre message à un maximum de personnes. »

Pour elle, ce sont d’abord les variantes de la langue métisse qui sont au coeur de ce projet : « C’est la priorité. Si les textes devaient être traduits, on prioriserait des langues autochtones. Elles sont plus à risque de disparaître et elles ne sont pas protégées par la Constitution. » Elle tient tout de même à rappeler que des visites de l’exposition sont données en français.

Paulette Duguay, présidente de l’Union nationale métisse Saint-Joseph du Manitoba, est préoccupée par cette problématique. Elle a déclaré qu’une réunion était en prévision, à une date encore indéterminée à l’heure de passer sous presse, pour discuter de ce sujet plus facilement avec les équipes de l’exposition. Elle n’a pas souhaité faire plus de commentaires avant la tenue de cette réunion.

Cathy Mattes sourit enfin lorsqu’on évoque avec elle sa pièce préférée de la collection :

« Ce n’est pas une bonne idée pour les commissaires d’avoir une pièce préférée. (rires) » Elle note tout de même le majestueux tapis de Marie Breland, datant de 1880 et qui trône au centre de l’exposition, ou l’impressionnant cadre entourant une photographie de Louis Riel et des autres membres du gouvernement provisoire, créé par Jennine Krauchi entre 2019 et 2022.

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(1) Prononcé kwa-ta knee-ta wa kick.