Manie-Tobie fut chroniqueuse pour La Liberté et le Patriote pendant sept ans. Pour le 109e anniversaire de La Liberté, nous vous présentons son parcours et son long engagement auprès du journal. Franco-Manitobaine et Métis, Manie-Tobie n’a cessé dans ses écrits de célébrer des sujets qui lui tenaient particulièrement à cœur. Michelle Keller, détentrice d’un doctorat de l’Université du Manitoba, spécialisé dans la francophonie manitobaine, raconte l’histoire singulière d’une femme engagée.

Par: Matthieu CAZALETS

« Manie-Tobie n’est plus », le 22 juillet 1970, c’est par ce titre que La Liberté annonçait la perte d’une des plus fidèles chroniqueuses de son histoire. Marie-Thérèse Goulet-Courchaine, de son vrai nom, avait le CV idéal d’une défenseuse de la francophonie. Enseignante, animatrice radio et chroniqueuse pour La Liberté et Le Patriote, elle fait partie de ceux et celles qui ont apporté une gigantesque pierre à l’édifice francophone manitobain.

Née en 1912, Marie-Thérèse Goulet-Courchaine enseigne pendant une vingtaine d’années dont une grande partie dans des écoles autochtones et métisses, après des études à l’Académie Saint-Joseph de Saint-Boniface. Sa santé défaillante l’oblige à arrêter l’enseignement pour se lancer dans une émission de radio en Saskatchewan puis des chroniques pour La Liberté et Le Patriote.

Une femme décrite comme curieuse et passionnée par Michelle Keller : « Elle avait une curiosité intellectuelle. Grâce à cette curiosité, elle pouvait écrire sur de nombreux sujets : l’environnement qui l’entourait, la nature, ainsi que sur l’histoire, les organismes communautaires, la religion, la question métisse, sur les figures historiques. »

Les obstacles étaient légions. Marie-Thérèse Goulet-Courchaine a évolué dans un environnement loin d’être le plus facile pour célébrer la langue française : « Elle a vécu dans une période assez importante car c’est en 1916 que le français est aboli comme langue d’enseignement dans les écoles publiques du Manitoba. Cette abolition était une grande perte et un grand défi pour les francophones, il n’était pas garanti que la langue puisse exister et survivre dans ce milieu. »

Ajoutez à ça : sa fierté d’être une femme métisse, et vous comprendrez sa détermination pour célébrer ses valeurs. Un exercice périlleux : « C’est important de le noter parce que c’est quand même une période où l’identité métisse n’était pas valorisée. En plus de ça, le français que les Métis parlaient n’était pas considéré comme le bon français. »

Le français, elle le maniait pourtant avec une dextérité exceptionnelle. Son poème d’hommage : Ma ville – Saint Boniface, a 150 ans, publié en juillet 1968, est un exemple parmi des dizaines (1).

Sept ans de fructueuses relations avec La Liberté et Le Patriote lui ont permis de s’exprimer librement. Plus de 80 textes, à nouveau, une démarche pas forcément acquise à l’époque : « Cette collaboration était pas mal remarquable à cause de sa continuité. Ce ne sont pas tous les journaux qui publiaient la littérature. » D’autant plus remarquable que d’autres journaux lui avaient plutôt fermé leur porte : « Quand elle a par exemple écrit au Winnipeg Free Press à l’époque. Elle a eu la réponse : On ne publie pas normalement la poésie mais on va peut-être y jeter un coup d’œil.

La littérature était publiée dans des journaux précédents, mais il n’y avait pas cette continuité comme il y avait avec Manie-Tobie. »

Elle y avait trouvé un équilibre vertueux. Après réflexion, Michelle Keller évoque un juste milieu entre une forme de militantisme positif et une sensibilisation aux sujets qui lui étaient chers : « Je ne dirais pas que ces articles en particulier sont militants, c’est plus de pouvoir partager identité, son vécu, ses expériences, à ressentir sa fierté. Elle n’a peut-être pas fait beaucoup de bruit, mais quand on prend le temps de la connaître et de la lire, on voit qu’il y a une volonté de partager un certain message. »

Si elle est présente dans des livres (2) et quelques articles, la mémoire de Marie-Thérèse Goulet-Courchaine est encore discrète : « J’ai l’impression que les gens ne connaissent pas Manie-Tobie de la façon qu’on pourrait la connaître pour apprécier pleinement sa contribution à la francophonie et à la question métisse aussi. »

Et comme si son parcours n’était pas déjà assez impressionnant, on peut rajouter un détail extraordinaire, Manie-Tobie était atteinte de cécité au moment de ses écrits, à cause d’un diabète sévère. Michelle Keller conclut : « À l’époque où elle commence à avoir des problèmes de vision, elle se lance dans l’écriture. C’était peut-être comme sa thérapie. Elle l’a dit, l’écriture la délivrait. »

(1) Retrouvez les archives de La Liberté et Le Patriote à ce lien : https://www.la-liberte.ca/archives/

(2) Manie-Tobie : Femme du Manitoba, par René Juéry, paru en 1979 aux Éditions des Plaines.