FRANCOPRESSE – Le directeur parlementaire du budget, Yves Giroux, l’a dit et répété devant le Comité sénatorial des langues officielles : « Les ministères responsables ont refusé, à tort » d’expliquer comment seront octroyés les 16 millions $ annoncés dans la mise à jour économique pour la mise en œuvre du projet de loi C-13. Les couts de mise en œuvre pourraient être plus élevés en fonction de la définition des «régions à forte présence francophones». 

Inès Lombardo — Francopresse

Le rapport du directeur parlementaire du budget (DPB), déposé le 2 juin, porte sur l’estimation des coûts du projet de loi C-13 sur la modernisation de la Loi sur les langues officielles. Il précise que le cout financier de mise en œuvre de C-13 «découle uniquement de l’élargissement proposé aux entreprises privées assujetties à la règlementation fédérale, notamment des obligations relatives au français».

Le DPB estime ainsi les couts de C-13 dans le secteur privé à 240 millions $ et à 20 millions de $ de plus par an pour la formation linguistique et les primes salariales au bilinguisme. Les couts administratifs avoisineraient plutôt 2,9 millions $ par an.

Pas de partage d’informations de trois ministères

Le bureau du DPB montre aussi du doigt le refus du Conseil du Trésor, d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC) et de Patrimoine canadien, d’envoyer au directeur parlementaire du budget les informations sur les 16 millions $ inscrits au budget 2022, qui auraient permis une meilleure estimation des couts. C’est précisément sur ce point que les sénateurs et sénatrices du Comité permanent des langues officielles au Sénat se sont attardés, lundi soir.

« [Ces ministères] ont refusé, sous prétexte que l’information n’était pas disponible publiquement. Il y a quelques exceptions qui indiquent les circonstances dans lesquelles les ministères peuvent refuser de divulguer l’information, mais le fait qu’elle ne soit pas publique n’en fait pas partie », a fait valoir le Yves Giroux.

« C’est la première fois que je vois un refus ministériel depuis que je suis en poste. Habituellement, les ministères sont assez transparents. Même quand les renseignements sont confidentiels, ils acceptent de nous les partager, à condition que nous nous en servions juste pour notre travail, sans les divulguer », a-t-il ajouté.

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Le directeur parlementaire du budget « a pour mandat de présenter au Parlement une analyse indépendante et non partisane sur le budget, les budgets des dépenses et d’autres documents, sur les questions d’importance particulière quant à l’état des finances ou à l’économie du pays énoncées dans son plan de travail annuel, ainsi que, à la demande d’un comité ou d’un parlementaire, sur les couts de toute mesure proposée relevant des domaines de compétence du Parlement ».

Il a pour objectif d’appuyer le Parlement, « dans le but d’améliorer la qualité des débats parlementaires et de promouvoir une plus grande transparence et responsabilité en matière budgétaire ».

Source : Bureau du DPB

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Refus ministériels d’informations

Selon Yves Giroux, Patrimoine canadien a fini par soumettre ses renseignements, le lendemain du dépôt du rapport, en prétextant une erreur, l’oubli d’une pièce jointe dans un courriel qui était adressé au bureau du DPB. « Alors que les réponses écrites des trois sous-ministres [Patrimoine canadien, IRCC et le Conseil du Trésor] disaient toutes la même chose : pas de renseignements, car ils ne sont pas dans le domaine public », affirme-t-il.

Si l’estimation de couts n’a pas changé après l’envoi de l’information par Patrimoine canadien, Yves Giroux aurait « aimé avoir ces informations-là avant l’envoi du rapport ».

Lors de la rencontre du Comité sénatorial des langues officielles, la sénatrice Rose-May Poirier s’est impatientée : « Qui a l’information? Et pourquoi y a-t-il des consultations s’ils ne sont pas équipés? »

Yves Giroux a répondu : « Le projet de loi C-13 tel que rédigé laisse beaucoup de latitude pour être déterminé par voie règlementaire. »

Selon lui, des groupes du secteur privé assujettis à la loi fédérale n’ont pas encore une idée des couts de la mise en œuvre du projet de loi. « Ce sera déterminé à une date ultérieure, a-t-il affirmé. Ceux qui ont les informations sont les ministères. »

Une estimation des couts limitée par le flou sur les régions «à forte présence francophone»

L’autre souci, c’est le manque de définition des régions dites «à forte présence francophone». La partie 2 du projet de loi « édicte la Loi sur l’usage du français au sein des entreprises privées de compétence fédérale, laquelle prévoit notamment des droits et des obligations concernant l’usage du français en tant que langue de service et langue de travail, relativement aux entreprises privées de compétence fédérale au Québec et à une date ultérieure, dans des régions à forte présence francophone ».

Pour son rapport et sa comparution devant le comité, le bureau du DPB s’est basé sur la Liste des régions bilingues du Canada aux fins de la langue du travail déjà existante et les discussions avec le commissaire aux langues officielles. Les régions bilingues en dehors du Québec faisant partie du rapport sont : la province du Nouveau-Brunswick, la Ville d’Ottawa et de « certains secteurs de l’Est et du Nord de l’Ontario ».

La sénatrice franco-manitobaine Raymonde Gagné a souligné le manque de données sur ces régions, rappelant que le gouvernement prévoit de les définir dans les deux prochaines années. « Êtes-vous en mesure de nous donner les impacts financiers si la nouvelle Loi sur les entreprises sous compétence fédérale s’appliquait partout au Canada? » a-t-elle questionné.

Ce à quoi Yves Giroux a répondu : « Au Québec [ces impacts financiers] seraient assez faibles, car la capacité de fournir des services en français ou de superviser en français ou dans les deux langues officielles est élevée. […] Mais si les obligations linguistiques [pour les entreprises sous compétences fédérales] étaient étendues à l’ensemble du pays, alors oui, les couts seraient plus importants que 240 millions $. La capacité à fournir des services et à superviser des employés en français est beaucoup plus faible dans les régions où la présence francophone est plus faible ».

Par ailleurs, si un amendement à C-13 portait sur les régions à forte présence francophone, la sénatrice Bernadette Clément s’est demandé s’il y aurait des conséquences financières importantes sur l’immigration francophone. « Mais la mise en œuvre [d’une politique d’immigration francophone] aurait une incidence, selon ce qui est inclus, notamment pour le recrutement ou la promotion du français », a-t-il encore répondu.

Autre cout supplémentaire qui pourrait changer la donne si la définition des régions bilingues s’élargissait sous C-13 : la formation des gestionnaires.

Selon les estimations du DPB, 3 413 gestionnaires ne parlent pas le français dans les entreprises sous compétences fédérales, dans les régions désignées bilingues. Les estimations sont très variées : au Québec, seuls 3 % des gestionnaires ne parlent pas le français alors que dans le Nord et l’Est de l’Ontario, c’est près de 57 %. « Il faudrait former bien plus de gens dans ces régions » a soulevé Katarina Michalyshyn, analyste au bureau du DPB.

Devant le comité, Yves Giroux a admis que dans la mise en œuvre du projet de loi, sur la partie concernant les entreprises, « de nombreux éléments sont discrétionnaires », notamment sur la répartition entre les quatre entités, soit le commissaire aux langues officielles, le Conseil du Trésor, IRCC et Patrimoine canadien.

Après quelques questions, la sénatrice franco-ontarienne Lucie Moncion a conclu : « Ça nous amène à réfléchir sur la portée financière [de C-13] qui pourrait être beaucoup plus grande que ce qu’on nous laisse croire actuellement ».