Le commissaire aux langues officielles, Raymond Théberge s’est de nouveau prêté à l’exercice d’informer la population canadienne et le Parlement du Canada des actions qu’entreprend le gouvernement fédéral pour respecter les obligations imposées par la Loi sur les langues officielles, avec bon espoir que la prochaine fois son rapport se fera avec une loi modernisée.

Par Ophélie DOIREAU

INITIATIVE DE JOURNALISME LOCAL – La Liberté

Raymond Théberge a déposé le 7 juin 2022 son nouveau rapport annuel. La Société de la francophonie manitobaine et son directeur général, Daniel Boucher, ne relève que peu de surprises dans ce rapport. « Il n’y a pas eu des choses éclatantes dans ce rapport sauf le nombre de plaintes qui a augmenté. Le rapport du commissaire permet de montrer l’importance que les gens accordent aux langues officielles et de la place du français. »

Avec 5 409 plaintes recevables, le commissaire souligne une augmentation inhabituelle due à des moments spécifiques. « L’augmentation s’explique par deux évènements : le discours unilingue anglophone du PDG d’Air Canada devant la Chambre de commerce de Montréal (2 680 plaintes) et la nomination de la gouverneure générale pour sa non-maîtrise du français (1 346 plaintes).

« Ces évènements ont démontré à quel point les Canadiens et les Canadiennes tiennent à leurs deux langues officielles. Ils ont touché une corde sensible chez les citoyens. »

Si cette réalisation est présente de la part de certains Canadiens, il reste que le commissaire aux langues officielles pousse pour que les hauts membres de l’appareil fédéral répondent aux obligations du bilinguisme. « Il est important que les hauts dirigeants des institutions fédérales ou même des sociétés assujetties à la Loi sur les langues officielles se dotent d’un leadership capable de fonctionner dans les deux langues officielles. »

| L’engagement du fédéral

Si l’année est assez exceptionnelle au niveau des plaintes, il reste que depuis 2013 le nombre de plaintes est sans cesse en hausse. En effet, en 2013, le Commissariat aux langues officielles avait reçu 415 plaintes jugées recevables pour passer à 1 018 en 2017. En 2022, ce nombre atteint 5 409. Cette année, une partie des plaintes vise la partie VII de La Loi. Un phénomène qu’explique Raymond Théberge. « La partie VII touche l’épanouissement des communautés de langue officielle en situation minoritaire. En janvier 2022, la Cour d’appel fédérale a rendu une décision qui a permis une interprétation plus large de la partie VII. »

« Avant ce jugement, l’interprétation était assez étroite donc ça serait très utile dans la nouvelle partie VII d’inclure une partie du langage de cette décision pour clarifier que les institutions fédérales doivent prendre des mesures positives pour renforcer et appuyer le développement des communautés de langue officielle en situation minoritaire tout en consultant et tenant compte de leurs besoins pour l’élaboration de nouvelles politiques etc. »

Raymond Théberge est le commissaire aux langues officielles depuis novembre 2018. (photo : Archives La Liberté)

Un jugement qui semblait nécessaire à la vue d’un manque de proactivité de la part du gouvernement fédéral. Dans son rapport le commissaire aux langues officielles souligne que plusieurs nominations à des postes de leadership sont discutables notamment la lieutenante-gouverneure au Nouveau-Brunswick, le PDG de Parcs Canada et l’absence d’exigences linguistiques pour le poste de PDG au Musée canadien de l’histoire.

La prochaine décision du gouvernement fédéral sur la nomination d’un juge à la Cour suprême du Canada pourrait s’avérer cruciale pour la crédibilité de l’engagement du Fédéral envers le bilinguisme.

« Je pense que le juge en chef, Richard Wagner, a réitéré l’importance que tous les juges soient bilingues. On doit se demander s’il existe un bassin de candidats de juges bilingues en Ontario qui fait preuve de représentativité. La réponse est probablement oui. Le Premier ministre, Justin Trudeau, a quand même rappelé au comité de sélection que le prochain juge devrait être bilingue.

« Lorsqu’on fait des exceptions par rapport au bilinguisme ça affaiblit une langue et le statut égal des deux langues. »

Si le commissaire aux langues officielles relève les efforts que le gouvernement fédéral doit encore produire, il rappelle que depuis sa prise de fonction en 2018, la situation des deux langues officielles s’est améliorée. « Depuis mon arrivée, les langues officielles sont de plus en plus présentes dans l’environnement politique. On en parle de plus en plus au niveau national. On parle aussi du post-secondaire dans les milieux minoritaires, on parle d’immigration francophone. Il y a une sorte d’effervescence aussi présente dans les provinces et les territoires.

« De notre côté, on a alimenté le débat avec des rapports et des études soit sur l’immersion, soit sur l’insécurité linguistique. Dans l’histoire des langues officielles, on est à un point clé surtout avec la modernisation de la LLO qui s’en vient. »

Sur la question de l’adoption du projet de modernisation de la LLO dit, projet de loi C-13, il semble peu probable que l’adoption se fasse avant la fin de la session parlementaire actuelle. Une légère déception pour Raymond Thé- berge.

« Je pense que ce qui déçoit souvent c’est qu’on émet plusieurs recommandations. Dans l’histoire du Commissariat, on a reçu plus de 60 000 plaintes. Et les mêmes institutions fédérales font l’objet de plaintes semblables année après année. Si elles mettent en place les recommandations, ça ne change pas le comportement de façon durable.

« Présentement, la Loi ne donne pas les outils nécessaires pour se conformer à la Loi. On aurait espéré que le projet soit passé avant la levée de la session. Mais quand on regarde le temps qu’il reste, c’est impossible.

« Si le projet de loi C-13 est adopté, il faut penser aux règlements parce que sinon il faudra penser à beaucoup de choses dans la Loi qui pourrait faire ralentir le processus. »

Daniel Boucher est certain que le projet de loi C-13 per- mettrait un changement structurel. « Bien des choses pour- raient se mettre davantage en place si le projet de loi était adopté. Même au niveau des pouvoirs du commissaire parce que c’est beau de répéter la même chose tous les ans, mais il faut du changement.

« La ministre Ginette Petitpas Taylor nous avait indiqués lors de son passage à Winnipeg qu’elle espérait qu’à l’automne tout puisse être réglé pour une adoption avant Noël. »

Courte chronologie de la Loi sur les langues officielles

  • 9 juillet 1969 : La première Loi sur les langues officielles reçoit la sanction royale et entre en vigueur le 7 septembre de la même année. Les langues française et anglaise sont déclarées comme étant les deux langues officielles du Canada.
  • 28 juillet 1988 : La deuxième LLO reçoit la sanction royale. Cette loi met en avant les responsabilités des institutions fédérales en matière de langues officielles et d’épanouissement des communautés de langue officielle en situation minoritaire (CLOSM).
  • 2005 : La LLO est modifiée pour préciser que les institutions fédérales doivent prendre des mesures positives envers les CLOSM.
  • Décembre 2016 : La modernisation de la LLO est mentionnée par des intervenants pendant les consultations nationales pour la Plan d’action pour les langues officielles 2018- 2023.
  • Mai 2017 : Début d’une étude sénatoriale sur la modernisation de la LLO.
  • Été 2018 : Mélanie Joly reçoit le mandat d’entreprendre un exa- men de la LLO.
  • Mars 2019 : Lancement d’une tournée de consultations pancanadiennes en vue de modernisation la LLO.
  • Automne 2019 : Élections fédérales.
  • Décembre 2019 : Mélanie Joly reçoit le mandat de moderniser la LLO.
  • Février 2021 : Mélanie Joly dépose un docu- ment de réforme de la LLO.
  • Juin 2021 : Dépôt du projet de loi C-32.
  • Août 2021 : Déclenchement des élections fédérales.
  • Octobre 2021 : Ginette Petitpas Taylor reçoit le portefeuille des langues officielles.
  • Décembre 2021 : La lettre de mandat de Ginette Petitpas Taylor inclut la modernisation de la LLO.
  • Mars 2022 : Dépôt du projet de loi C-13.