Le Pape François est arrivé dimanche en Alberta pour entamer « son pèlerinage de pénitence ». Durant sa visite de six jours, le Pape se rendra à différents endroits du Canada pour marcher avec les Autochtones vers la réconciliation.
Parmi eux, une quarantaine d’Autochtones du Manitoba sont partis samedi après-midi en autobus pour entendre les excuses de la part du Pape sur leurs terres. Ce voyage est organisé par l’archidiocèse de Saint-Boniface en collaboration avec des Premières Nations, l’archevêque, Mgr Albert LeGatt est lui aussi du voyage.
Par Ophélie DOIREAU
Ils viennent de Poplar River, Berens River, Bloodvein, Hollow Water, Seymourville, Manigotagan et Sagkeeng et samedi après-midi, ils étaient tous réunis devant l’archidiocèse pour préparer ce voyage et recevoir des excuses de la part du Pape pour pouvoir continuer leur chemin vers la réconciliation et vers la guérison. Certains ont fréquenté des pensionnats autochtones, d’autres sont des enfants des survivants, d’autres des petits-enfants de survivants et certains simplement des allié.es qui sont venus apporter leur soutien lors de ce voyage.
On estime que plus de 150 000 enfants autochtones ont été forcés de fréquenter les pensionnats autochtones au Canada pour les assimiler et que près de 6 000 enfants seraient morts dans les pensionnats. Des données approximatives puisque toutes les archives ne sont pas complètes.
Ces politiques d’assimilation ont été mises en place par le gouvernement du Canada avec l’aide de l’Église catholique. Dans les pensionnats autochtones, il était interdit aux élèves de parler leur langue maternelle, les cheveux étaient coupés, leurs vêtements étaient remplacés et bien souvent on leur donnait de nouveaux prénoms et noms pour tenter une assimilation. Les élèves ont vécu des expériences traumatisantes parmi lesquelles on retrouve des violences psychologiques, physiques et sexuelles.
En 2008, le Premier ministre, Stephen Harper avait présenté des excuses. C’est en mars 2022, à Rome que le Pape a présenté des excuses au nom de l’Église catholique.
Cynthia Bunn, originaire de la Première Nation Sagkeeng, est co-coordonnatrice de ce voyage pour rencontrer le Pape. Cynthia Bunn a fréquenté le pensionnat autochtone de Fort Alexander de 1959 à 1963. « L’anglais n’était pas ma langue maternelle jusqu’à ce que j’aille au pensionnat. » Et cette question de la langue, Cynthia Bunn l’évoque à plusieurs reprises.
« On m’a enlevé de ma famille à l’âge de cinq ans pour aller au pensionnat. J’ai mis trois ans avant d’apprendre l’anglais. Quand je parlais ma langue maternelle, l’anishinaabemowin, on me disait que c’était la langue du diable. J’ai donc perdu ma langue maternelle. Ce sont des souvenirs douloureux. Il m’a fallu du courage pour recommencer à parler ma langue.
« Mes années au pensionnat ont été douloureuses. La semaine avant la visite du Pape a été très émotionnelle. Cette visite fait revenir énormément de souvenirs traumatisants. Je pleure dès que j’en parle. »
Pour Cynthia Bunn, c’est avant tout un voyage pour trouver une certaine paix intérieure. « J’espère que la plupart des personnes trouveront ce pour quoi elles sont venues voir le Pape. Nous sommes nombreux à la recherche de quelque chose en particulier.
« Cette rencontre va être très intéressante. Plusieurs personnes l’attendaient depuis longtemps. Le Pape est sur nos terres natales, j’espère qu’en marchant sur nos terres il va ressentir l’esprit de nos ancêtres. »
Cynthia Bunn reconnaît que la visite du Pape peut diviser certaines générations sur certains aspects. « Mon fils fait partie des gens qui se
questionnent. Il se demandait pourquoi le Pape ne viendrait pas dans chaque communauté autochtone qui ont eu des pensionnats autochtones pour présenter des excuses. Je comprends mais je pense que ça n’a pas vraiment d’importance de savoir d’où il présente ses excuses. Le plus important c’est qu’il vienne. »
| Traumatismes intergénérationnels
Il faut souligner que les enfants de Cynthia Bunn sont la quatrième génération de survivants des pensionnats autochtones. Ces traumatismes qu’ont vécu individuellement les élèves des pensionnats s’est aussi transmis à leurs enfants. C’est ce qu’on appelle les traumatismes intergénérationnels. Les traumatismes qu’a vécus une personne peut influencer les compétences parentales, la communication et sa relation avec ses enfants. Ce sont des comportements involontaires qui conduisent la personne à mettre son enfant dans des situations similaires à celles qui ont conduit à son traumatisme.
Cynthia Bunn partage son expérience. « J’ai élevé mes enfants aussi strictement et sévèrement que je l’ai été au pensionnat. Quand ils faisaient quelque chose de mal, il m’arrivait de les frapper. Ils me racontent des évènements dont je n’ai aucun souvenir. Quand ils m’en parlent, je me sens honteuse, je leur présente toutes mes excuses. »
Shania Franklin est une troisième génération de survivants des pensionnats autochtones, ses parents y sont allés et ses grands-parents aussi. Elle est originaire de la
Première Nation Poplar River. « Ma communauté est aux prises avec des problèmes de santé mentale, d’addiction, d’alcoolisme. J’ai, moi-même, été aux prises avec des dépendances. Le Pape vient, j’en suis satisfaite. Mais pour moi, il aurait dû venir sur chaque communauté autochtone pour présenter ses excuses et écouter ce qu’on a vécu et ce qu’on vit encore aujourd’hui.
« Les excuses sont une chose. Mais j’attends beaucoup plus de l’Église et du gouvernement canadien pour réparer nos communautés qui sont aujourd’hui en voie de guérison. »
C’est un long chemin qui attend encore l’Église, le gouvernement fédéral et les Autochtones pour avancer ensemble vers la réconciliation et la guérison. Mgr Albert LeGatt en est bien conscient. « Je suis content qu’un pas de plus se fasse vers ce long chemin qu’est la réconciliation. Outre l’appel à l’action qui demandait cette visite et ces excuses, je pense que ce voyage vient vraiment de son cœur. Il souhaite être avec les personnes et proche d’elles. Il tenait à être avec les Autochtones pour demander pardon.
« Le travail ne s’arrête pas après cette visite. Elle va être le point de départ pour l’avenir, pour établir les prochaines actions à prendre main dans la main avec les Autochtones pour cheminer sur la réconciliation. »
| Un génocide?
Malgré cette volonté, le Pape n’avait pas qualifié de génocide ce qui était arrivé dans les pensionnats autochtones, Mgr Albert LeGatt partage son point de vue.« Il y a toute une discussion sur le mot génocide. À ce point personnel, je l’ai déjà utilisé pour cette situation- ci, au niveau culturel et en termes de spiritualité. J’ai eu des discussions après où des gens me disaient qu’en utilisant le mot génocide, on dépeint, dans l’esprit de beaucoup de personnes, des portraits des prêtres et des religieuses où ils voulaient tuer physiquement les Autochtones.
« Je n’utilise plus le mot génocide, il y a bien des manières autres pour décrire ce qui s’est fait par rapport à leur langue, à leur spiritualité, aux soins de santé, à l’alimentation… Lorsqu’un mot est parti de notre bouche, on ne le contrôle plus.
« Pour moi quand génocide est utilisé, c’est le dernier mot. Et un mot qui clôt le dialogue ou un mot qui divise les bons et les méchants, ce n’est pas un mot utile ou bénéfique pour la réconciliation. »
Norman Meade partage la vision de l’archevêque. Il est le mari d’une survivante des pensionnats autochtones. Originaire de la Première Nation, Manigotagan, il fait le voyage avec sa petite-fille, Everlee, qui est la troisième génération de survivant. Pour lui, le mot génocide mérite de l’attention. « Génocide est un mot de colonisateur. C’est un mot qui n’apporte pas de guérison dans nos communautés. Cependant, lorsqu’on cherche à décrire ce qui s’est passé dans les pensionnats autochtones, il semble que le concept de génocide soit le plus proche. Pensons simplement à Tuer l’Indien dans l’enfant. Cette phrase est assez parlante sur la question. »