Le gouvernement provincial est à la recherche d’une direction générale pour le Bureau de l’éducation française (BEF). En 2017, la Province avait aboli le poste de sous-ministre adjoint en charge du BEF. Une décision alors unanimement mal reçue par la francophonie manitobaine. Et toujours mal acceptée.

Par Ophélie DOIREAU

INITIATIVE DE JOURNALISME LOCAL – La Liberté

Au motif de procéder à une restructuration, la Province avait opté d’abolir le poste de sous- ministre adjoint responsable du BEF, depuis lors placé au sein d’une Division avec à sa tête une simple direction générale (Voir schéma).

Près de cinq ans plus tard, les déclarations de Lillian Klausen, présidente des Éducateurs et éducatrices francophones du Manitoba, montrent que le dossier est encore bien présent dans la tête des acteurs du monde de l’éducation.

« Lorsque nous avons appris que le poste de direction générale allait ouvrir au printemps, la Manitoba Teachers’ Society a rappelé à l’occasion d’une rencontre au ministre de l’Éducation, Wayne Ewasko, que le temps serait peut-être propice de ramener le poste de sous-ministre adjoint.

« On est forcément déçu que le gouvernement n’ait pas saisi cette opportunité pour confier à nouveau le BEF a un fonctionnaire avec rang de sous-ministre. Pendant qu’on continue de plaider auprès du ministre de l’Éducation, on essaie de mieux cerner quelle direction on voudrait que le BEF prenne. »

Angela Cassie. (photo : Marta Guerrero)

À la Société de la francophonie manitobaine (SFM), sa présidente, Angela Cassie, voit les choses du même œil.

« On continue de revendiquer pour le retour du poste de sous-ministre adjoint. Pour nous, la question reste ouverte.

« Car on n’a toujours pas eu de raisons véritablement convaincantes au sujet de l’élimination de ce poste. En plus, cette situation crée encore beaucoup d’incertitudes au BEF, ce qui ajoute de la complexité à son mandat. »

Interrogé sur la possibilité de réintégrer le poste de sous- ministre adjoint, le ministre Wayne Ewasko reste campé sur sa position et invoque la notion de réactivité.

« La structure du ministère a changé au cours des dernières années afin de nous permettre d’être plus réactifs. La Division du rendement scolaire et de l’inclusion – dont le Bureau de l’éducation française (BEF) est une direction – est responsable du leadership dans les quatre programmes scolaires officiels du système d’éducation de la maternelle à la 12e année du Manitoba : l’anglais, le français, l’immersion en français et l’éducation technologique au niveau supérieur. »

Si convaincu de la structure, il ressort des réponses du ministère que le BEF est une voix parmi les autres.

« La direction générale du BEF est un membre clé de l’équipe de direction de la Division du rendement des élèves et de l’inclusion ; il collabore avec les directions, le ministère et le gouvernement pour remplir les mandats du ministère, de la division et des directions. En tant que membre de l’équipe de direction, le directeur général du BEF a une voix et une contribution équitables pour informer et conseiller sur les questions liées à l’éducation au Manitoba. »

| Lien direct avec le ministre

C’est sur ce point central que plusieurs voix du monde de l’éducation manitobaine s’élèvent. En 2017, la Province avait promis que la direction générale aurait un accès direct au ministre de l’Éducation. Pour Lillian Klausen, cette promesse n’a pas été tenue.

« On voit qu’il n’y a pas de lien entre le ministre de l’Éducation et la direction générale du BEF, au contraire du lien direct qui existait avant entre le ministre et le sous-ministre adjoint. La direction générale doit tout faire passer par la sous-ministre adjointe. On a juste descendu les escaliers. »

Sur cette question clé en termes d’influence, Guy Roy, sous-ministre adjoint au BEF de 1982 à 2004, est absolument d’accord avec Lillian Klausen.

Guy Roy. (photo : Marta Guerrero)

« Lorsque le poste a été aboli, j’ai trouvé que c’était un désastre. Un désastre pour la communauté francophone du Manitoba. Un désastre pour toutes les initiatives d’éducation en langue française au Manitoba. C’était une décision pas du tout éclairée de la part du gouvernement.

« À mon époque, qui était certes différente puisqu’il y avait tous les mouvements de revendications en faveur de l’éducation en français, je disposais d’un accès direct au ministre de l’Éducation et à ses collègues au Cabinet. Je doute que ces connexions se fassent encore avec une simple direction générale. »

Sur cette question, un porte-parole du gouvernement maintient que la direction générale dispose toujours d’un accès direct au ministre de l’Éducation.

Outre l’accès direct, Guy Roy pointe l’impact de cette restructuration sur l’éducation en langue française. De son côté, le gouvernement évoque un impératif qui porte sur la prestation de l’éducation en langue française.

En effet dans le rapport final de la Commission manitobaine sur l’éducation de la maternelle à la 12e année, intitulé Children’s Success: Manitoba’s Future, publié en mars 2021, le gouvernement a identifié dix impératifs d’amélioration et 75 recommandations.

Le ministère souhaite particulièrement souligner l’impératif n°7 qui comprend « l’élaboration d’une stratégie globale et coordonnée pour répondre au besoin d’enseignants de langue française ; l’assurance que l’éducation en langue française demeure une priorité ; et l’assurance de l’équité d’accès des élèves du programme français aux programmes d’enseignement technique et professionnel et aux programmes de métiers enseignés en français. »

Pour ce faire, le porte-parole du gouvernement assure que « le ministère a déjà commencé à faire avancer cette importante priorité en :

– renforçant la politique et la mise en œuvre du programme d’enseignement du français et de l’immersion française avec une orientation distincte et parallèle ;

– travaillant avec des partenaires pour explorer l’accès équitable aux programmes techniques et professionnels pour tous les élèves, y compris les possibilités en français ;

– créant un cadre de planification de la main-d’œuvre axé sur le recrutement et le maintien en poste du personnel scolaire afin d’augmenter le nombre d’éducateurs en français ; et

– entreprenant un examen du modèle de financement en s’engageant à travailler avec la DSFM pour s’assurer que les besoins uniques continuent d’être satisfaits. »

Pourtant les ÉFM ont pu constater des pertes qui résultent de l’abolition du poste de sous-ministre adjoint comme l’affirme Lillian Klausen :

« Le gouvernement ne valorise plus, ni ne priorise l’éducation en français comme c’était le cas auparavant. Cette non priorisation fait que les ressources ne sont pas adéquatement réparties. Alors que les inscriptions des élèves augmentaient, le financement du BEF a diminué. Il y a eu une réduction de plus de 20 % du financement depuis 2015. Sans compter qu’il y a de moins en moins d’employés. Moins d’employés, ça signifie que ceux qui sont encore là doivent travailler sur plus de dossiers et que les services offerts aux écoles ne sont plus du même ordre. »

Pour l’année 2022-2023, le budget du BEF est de 9 270 000 $. Lillian Klausen poursuit :

« En 2017, la première raison qui avait été invoquée pour supprimer le poste de sous-ministre adjoint était de réduire la fonction publique. Il y avait quatre sous-ministres adjoints au ministère de l’Éducation. Il y en a toujours autant. »

| Langue de travail

À cette question des ressources humaines, Lillian Klausen soulève la délicate question de la langue de travail.

« Le BEF s’est retrouvé dans une Division gérée par Janet Tomy, une sous-ministre adjointe unilingue anglophone, qui ne comprend peut-être pas tout ce qu’on avait avant comme services pour assurer une éducation dans une langue officielle en situation minoritaire.

La capacité de communiquer en français est cruciale, car de multiples détails et nuances peuvent être perdus dans la traduction quand nous passons d’une direction à un sous- ministre adjoint, à un sous- ministre et ensuite au ministre. Pourquoi le gouvernement ne priorise-t-il pas l’embauche de personnes francophones ou bilingues dans les postes de sous-ministre adjoint et sous- ministres?

« De plus, son unilinguisme anglophone fait que les rencontres avec le BEF se tiennent en anglais, ce qui n’est pas forcément la langue première de certains interlocuteurs. »

Un point que corrobore Angela Cassie. « On entend dire qu’avec une sous-ministre adjointe anglophone, le français comme langue de travail a beaucoup reculé. Ça ne peut pas être une bonne chose pour l’épanouissement de la francophonie manitobaine. »

À ce sujet, le ministère a fait savoir que « la direction générale est le cadre supérieur du BEF et travaille directement avec le personnel du BEF pour promouvoir la langue française et soutenir les francophones en milieu de travail. »

Au moment de l’abolition du poste de sous-ministre adjoint, Jean-Vianney Auclair occupait ces responsabilités. Guy Roy a vu dans l’abolition un manque de respect de la part du gouvernement.

« C’était une insulte pour le BEF, une insulte pour Jean-Vianney Auclair et une maltraitance pour la francophonie manitobaine. »

| Des perspectives différentes

Comme sous-ministre adjoint au BEF de 1976 à 1979, Raymond Hébert avait vécu de près les restructurations d’un gouvernement provincial progressiste-conservateur.

« Ce sont les néo-démocrates qui m’avaient nommé à ce poste en 1976. Il y a eu une transition en 1977 lorsque Sterling Lyon est arrivé au pouvoir. À un moment donné, j’étais le seul sous-ministre adjoint à rester en place, parce que les mandats des autres sous-ministres adjoints se terminaient.

Raymond Hébert. (photo : Marta Guerrero)

« Alors voir 40 ans plus tard un autre gouvernement progressiste-conservateur, celui de Brian Pallister, cette fois abolir le poste de sous- ministre adjoint, ça m’a touché. C’était une perte majeure pour la communauté francophone. On voit bien que les rapports entre le ministre et la direction générale du BEF ne se font plus comme avant avec un sous- ministre adjoint. »

Le ministère a fait savoir que « les engagements du gouvernement provincial au sujet de l’éducation en français sont partagés par l’ensemble de notre équipe de direction et non par un poste ou une branche. Chaque cadre supérieur planifie et tient compte des besoins de notre communauté francophone. »

Pour Raymond Hébert, c’est justement le problème : « C’est un peu de la poudre aux yeux. Il y a une différence fondamentale entre la perspective de la communauté francophone et celle du gouvernement. Lorsqu’ils disent que la responsabilité de l’éducation en français est répartie entre tous les organes du ministère de l’Éducation, c’est un peu noyer le poisson. Cette réalité ne peut que diluer la programmation surtout que tous n’ont pas la même sensibilité à la francophonie et à sa réalité comme langue officielle en situation minoritaire. »

Le ministère assure que « nous disposons également d’un comité des services en français à l’échelle du ministère, composé de membres du personnel de tout le ministère, d’un Groupe de concertation pour l’Éducation en langue française au Manitoba com-

posé de représentants de la communauté francophone (1), dont les réunions reprendront à l’automne, et de rapports réguliers au niveau de la direction et du ministre sur les réalisations et l’état de notre planification interne. Des rapports publics sont également prévus. »

Par souci pédagogique, Raymond Hébert tient à rappeler l’organisation interne du ministère.

« Il faut souligner que les postes de sous-ministres adjoints sont des nominations prises par décret en conseil. Autrement dit, c’est le Premier ministre et son Cabinet qui choisissent les sous-ministres adjoints. Il s’agit donc de postes de niveau ministériel. Tandis que le poste de direction générale n’est qu’un poste bureaucratique. »

| La bonne volonté de la Province

Raymond Hébert aimerait voir de la bonne foi de la part du gouvernement provincial. « Si la Province voulait montrer de la bonne volonté concernant le poste de direction générale, il pourrait peut-être nommer un représentant de la francophonie manitobaine au comité de sélection. Ce n’est pas quelque chose qui se fait normalement. Mais ça pourrait se faire pour montrer une ouverture du gouvernement. »

À ce sujet, le même porte- parole du gouvernement a fait savoir que la francophonie manitobaine sera représentée au comité de sélection.

Raymond Hébert : « En prévision des élections provinciales de 2023, la SFM devrait obtenir l’engagement du Nouveau Parti démocratique (NPD) de rétablir le poste de sous-ministre adjoint. »

Un travail de lobbying que la SFM engage aussi avec le gouvernement progressiste-conservateur en place, précise sa présidente.

« Dans toutes nos rencontres, on soulève le dossier du BEF parce qu’on veut une direction forte pour appuyer l’éducation en français. On veut un meilleur dialogue avec le gouvernement provincial pour éclairer la vision du BEF parce qu’il s’agit d’une entité extrêmement importante pour la francophonie manitobaine. Pour l’instant, ils sont à l’écoute. Mais on ne voit rien réellement changer. »

Adrien Sala, le député provincial NPD de St. James et critique en matière de services en français, comprend la frustration des représentants de la francophonie manitobaine.

Adrien Sala. (photo : Marta Guerrero)

« Le NPD sait que les écoles jouent un rôle essentiel dans la préservation de la langue française. Nous voulons un BEF avec un personnel complet qui est capable de soutenir adéquatement les écoles.

« Malheureusement, depuis plusieurs années on voit bien que le Parti progressiste-conservateur cherche à affaiblir l’éducation en français, notamment en abolissant le poste de sous-ministre adjoint. Et plus récemment dans le contexte de l’ancien projet de loi 64 sur la réforme en éducation, qui a heureusement été abandonné.

« C’est certain que si un gouvernement NPD revient au pouvoir, les postes au BEF qui ont été coupés par les progressistes-conservateurs seront à nouveau comblés. »

(1) Le ministère a fait savoir que « le Groupe de concertation pour l’Éducation en langue française au Manitoba (Advisory Working Group for French Language Education in Manitoba) est un groupe de travail de personnel interne, donc les noms des membres ne sont pas accessibles au public. »