Quand on est petit, chaque saison apporte son lot de nouveaux étonnements.

Récit recueilli par Bernard BOCQUEL – Collaboration spéciale

Dans ma jeunesse passée sur le lot 38 de la Rivière-aux-Rats, la vie de ferme m’a donné bien des occasions de faire des grandes découvertes.

L’arrivée un beau jour de fin d’hiver au début des années 1940 du crible municipal chez Ti-Toine Bérard a été une de ces découvertes extraordinaires, qui nous ouvrait à nous les petits des champs inconnus à explorer.

À l’époque dans nos campagnes, il n’y avait presque pas de téléphone ou de radio. Mais chaque habitant avait son grain pour les prochaines semailles : orge, avoine, blé, lin.

Aujourd’hui, on vit dans un monde où les multinationales vendent des semences modifiées génétiquement pour récolter un maximum, peu importe les conséquences. Je n’ose même pas penser à ces terminator seeds, des semences tripotées pour donner du grain stérile…

Mais restons aux temps d’autrefois où les petites fermes produisaient un brin de tout, avec leurs chevaux, vaches, cochons, chèvres, moutons. La vie avait appris au monde qu’il fallait toujours être prêts à survivre. Des fois on spéculait que les temps allaient devenir durs. Des fois on se demandait juste quand on pourrait enfin en finir av30ec l’hiver. L’entraide était quelque chose de naturel.

Dans ce monde-là, la municipalité avait un rôle important à jouer. Comme de nos jours d’ailleurs. On n’a qu’à penser à l’entretien des chemins. La municipalité a toujours eu un racoin pour garder le gros équipement nécessaire pour grader les chemins.

C’est là qu’on entreposait aussi le planeur de la municipalité. À un temps où toutes les constructions étaient faites en bois, dans notre coin de pays il y avait forcément quelque part une maison, un appentis, une étable, une écurie, une grainerie à bâtir ou à ramancher.

C’est pour ça que l’hiver, mon père et tant d’autres aimaient aller au chantier au lac Blanc, surtout quand ils avaient vraiment besoin de bois pour la construction. Ensuite, chacun à son tour avait droit au planeur, l’outil indispensable pour faire des madriers et des planches à languettes, du tongue and grove, comme on avait l’habitude de dire. C’était la manière efficace de construire solidement.

Et probablement pas loin du planeur se trouvait le crible municipal, qui faisait le tour des habitants en février, mars et avril. Pour nous les petits, c’était tout un évènement. C’était même toute une immense affaire qui nous arrivait sur des roues, tirée par un tracteur. Cette grande visite nous sortait de l’isolement, nous poussait à écornifler.

Côté pratique, le crible municipal était bien pensé. La moitié supérieure était en toile, comme ça la patente était bien moins compliquée à transporter. Et comme on peut le voir par la fumée qui sort du tuyau, le cribleur, qui venait évidemment toujours dîner à la maison, faisait son travail bien au chaud dans cet engin pour extra-terrestres.

On voit aussi Ti-Toine verser une poche de grain. Le cribleur s’assure que le contenu va traverser des passes spéciales, activées par un moteur à gasoline. Dans un va-et-vient rythmé, le mécanisme va bibliquement séparer le bon grain de l’ivraie. Une emmanchure envoie le bon grain à semer dans la grainerie, tandis qu’une autre patente à tuyau envoie les a-grains dans un wagon. Mélangés à d’autres matières, comme du lait, ces rejets vont servir de nourriture aux animaux.

À bien y regarder, il se pourrait que le petit écornifleux observe monsieur Lafrance, notre voisin, qui aurait apporté ses quelques poches de grain à cribler chez nous, pour épargner un trajet au cribleur municipal, qui pouvait rester deux ou trois jours au même endroit.

Ce qui est sûr c’est que le petit garçon est en train de s’inventer un nouveau jeu. Imiter les activités des adultes était pour nous autres un mouvement tout à fait naturel.

Pour faire sérieusement semblant, il ne nous avait pas fallu longtemps pour nous bricoler une petite cabane à côté de la bergerie. Un bout de vieille moustiquaire était transformé en passe. Comme les petits savent aller au bout de leur imagination, du sable en guise de graines de semence faisait parfaitement l’affaire. Les petits cailloux qui ne franchissaient pas le grillage de la moustiquaire prenaient des allures d’a-grains.

Pour tout dire, même bien criblé, pas grand-chose aurait poussé. Par contre, jouer au cribleur avait semé des idées dans la tête fertile de mon frère Raymond. Des idées qui allaient germer des décennies plus tard.

Car un jour ce sont des fermiers des alentours qui viendraient jusqu’au lot 38 pour faire cribler leur graines de semence à la Criblerie de Saint-Pierre-Sud.

Et ça pour le plus grand plaisir des petits oiseaux du ciel, qui ne sèment ni ne récoltent, mais qui sont les compagnons privilégiés du cribleur. Et aussi pour la plus grande joie des chevreuils, en particulier les années où les hivers sont longs et neigeux. En bon enfant de la Rivière-aux-Rats, mon frère Raymond a toujours fonctionné à l’entraide.

Chaque année, entre 1985 et 2009, Réal Bérard a conçu un calendrier tiré à une centaine d’exemplaires destiné aux clients fidèles de son frère Raymond, cribleur de son état pendant une bonne quarantaine d’années, jusqu’à 2020.

Un petit cadeau pour rappeler l’année durant aux fermiers les bons et loyaux services qu’il leur rendait.