Indiens, Amérindiens, Aborigènes, Autochtones, Indigènes : parmi ces termes, lequel convient en 2022 pour désigner les premiers habitants du Canada et leurs descendants?

Par Laurent GIMENEZ

Voilà une des questions auxquelles répond un excellent petit guide bilingue du langage inclusif que la Manitoba Teachers’ Society (MTS) a créé et qu’elle a rendu public à la mi-juin. On peut télécharger les deux versions (français et anglais) sur le site Web de l’organisme.

La réponse? « Autochtones », bien sûr, ou encore : « peuples autochtones ». Tels sont les termes employés dans la Constitution canadienne de 1982 pour désigner les membres des Premières Nations, les Inuits et les Métis.

Quarante ans plus tard, le nom « Autochtone » fait toujours l’unanimité dans la francophonie canadienne ainsi qu’au sein des organisations internationales, comme l’ONU. Dénué de toute connotation péjorative, il satisfait aussi bien les peuples autochtones eux-mêmes que les gouvernements. Les linguistiques eux-mêmes en louangent l’étymologie : une combinaison des deux mots de grec ancien autos (« soi-même ») et khthôn (« terre ») signifiant littéralement « habitant du lieu même ».

Les lecteurs attentifs de la présente chronique auront peut-être remarqué que le mot « autochtone » y est écrit parfois avec une majuscule et parfois sans. Malgré ses qualités, le guide de la MTS donne à ce sujet une explication un peu sommaire, se contentant d’indiquer : « Mettez la majuscule là où elle est requise ».

Le guide fournit cependant quelques exemples qui permettent de déduire la règle grammaticale qui s’applique, et qui est fort simple : les noms de peuples s’écrivent avec une majuscule et les adjectifs de peuples avec une minuscule. On écrira donc « un Autochtone (nom), une chef autochtone (adjectif), des Métis (nom), la culture métisse (adjectif), un Allemand (nom), la musique allemande (adjectif) », etc.

Les anglophones – qui ne sont pas un peuple, d’où la minuscule initiale – ont parfois du mal à comprendre cette nuance en français. La langue anglaise, il est vrai, « majusculise » à l’extrême. L’omission de la majuscule dans un adjectif de peuple serait considérée en anglais comme un manque de respect à l’égard de ce peuple, ce qui n’est absolument pas le cas en français.

Venons-en aux quatre synonymes d’« Autochtones » mentionnés au début de la chronique. Ils sont tous sortis de l’usage pour des raisons diverses. « Indiens » et « Amérindiens » sont rejetés en raison de leur origine coloniale et de leur inexactitude géographique (l’Amérique n’est pas l’Inde!).

Le terme « Indigènes » a été longtemps utilisé en France pour désigner les peuples colonisés par ce pays. Mais il a pris une connotation très péjorative au cours du 20e siècle dans la foulée de la décolonisation de l’Afrique et de l’Asie.

Quant au terme « Aborigènes », on ne l’emploie plus en français que pour désigner les Autochtones de l’Australie. Cet usage s’est établi à la suite des voyages en Océanie de l’explorateur français Jules Dumont d’Urville (1790-1842).

L’équivalent anglais « Aboriginal », en revanche, est le terme employé dans le texte anglais de la Constitution de 1982 à propos des premiers habitants du Canada et de leurs descendants. Considéré aujourd’hui comme légèrement péjoratif, il est progressivement remplacé dans l’usage par « Indigenous », alors que notre bon vieux « Autochtone », lui aussi dans la Constitution de 1982, demeure indémodable en français. De quoi en perdre son latin!

  • Laurent Gimenez: (photo : Marta Guerrero)