L’organisation mondiale de la francophonie compte plus de 300 millions de locuteurs français répartis dans plusieurs pays dans le monde, ce qui fait de la francophonie une entité riche et diverse. Mais depuis plusieurs années, la notion d’insécurité linguistique fait partie du quotidien des francophones en milieu minoritaire.
Par Ophélie DOIREAU – avec des informations de Morgane LEMÉE
IJL – Réseau.Presse – La Liberté
La langue est une part intégrante de notre identité, elle permet de donner un sentiment d’appartenance à un groupe. Émilie Morier-Roy est l’une de ces francophones avec des parents qui ont fait le choix d’une éducation en français, ancrée dans le contexte minoritaire de la langue.
« Mes parents ont fait l’effort de nous entourer de français durant l’enfance. Ils avaient tellement fait un effort que j’ai eu de la difficulté d’apprendre l’anglais.
« Aujourd’hui, quand on me demande ce qu’est ma culture, je me retrouve à donner des exemples d’activités vraiment typiquement manitobaines : le Festival théâtre jeunesse, le Festival du Voyageur, la Ligue d’improvisation du Manitoba… Ces activités ont en commun d’être faites en français. Je ne peux pas définir la culture franco-manitobaine, sans parler de la langue. La langue, c’est une énorme partie de mon identité. »
Le contexte minoritaire est une réalité socio-linguistique qui influence la construction identitaire, comme le souligne Sandrine Hallion, professeure de linguistique française à l’Université de Saint-Boniface, dont le doctorat a porté sur l’étude du français au Manitoba.
| Le « Bon français? »
« Pour les personnes qui vont grandir dans ce contexte minoritaire, il va y avoir une hyper conscience de parler une langue qui n’est pas présente dans le reste de la société. Dans les comportements linguistiques, on peut perdre le sentiment de légitimité de notre langue.
« On aura aussi tendance à se conformer, parce qu’on a l’impression de ne pas être légitime. Prenons un exemple assez typique : on est dans un repas et une personne ne parle pas le français. Comme on est bilingue, on passe à l’anglais. On se conforme à l’idée que l’anglais est la langue légitime. »
Cette situation découle d’un milieu où le français est en contexte minoritaire. Cependant, l’insécurité linguistique existe aussi lorsqu’une personne possède un accent. C’est le cas de Christiane Dunia, d’origine congolaise. Elle a fait son éducation en français au Congo, avant de déménager en Belgique, où elle a vécu trois ans, avant de venir s’installer au Manitoba.
« Ma langue maternelle est le swahili. Mais j’ai fait toute mon éducation en français. L’idée d’un « bon français » existait déjà, il fallait avoir un « bon français » sans accent. Au Congo, mon accent ne posait pas problème. »
« Quand je suis arrivée en Belgique, je me suis rendu compte que je ne parlais pas le « bon français », que j’avais un accent. C’était frustrant, parce que je me disais que je ne parlais pas le « bon français ». C’est une barrière pour se faire des amis. »
Mais le bon français existe-il vraiment? Sandrine Hallion explique cette notion.
« C’est lié à l’élaboration d’un standard qui va être valorisé, un français sans accent, on parle même d’accent neutre. Or, tout le monde a un accent. L’accent, on va s’en rendre compte au contact de l’autre.
« Si on valorise ou tout simplement si on pointe les caractéristiques d’une langue, on va prendre conscience qu’on parle différemment. Et si c’est dévalorisé, on va se dire que ce n’est pas la bonne manière de parler. Sauf que personne ne parle le français parfait. C’est ça la beauté de la langue. »
| Une variété d’accents
Pour effacer ce sentiment de bon ou de mauvais accent, il faut être capable de s’entendre, un point que soulève Émilie Morier-Roy.
« Je ne pense pas qu’un jour on s’est dit : c’est cet accent qui va servir de modèle pour tous les francophones de la planète! Cependant, il y a bien un modèle d’accent qu’on entend à la radio, à la télé. C’est dommage de ne pas avoir plus de représentation de différents accents. »
Point qu’appuie Sandrine Hallion : « Les médias devraient être représentatifs des variétés d’accents, alors qu’actuellement on a une uniformisation des accents. »
Cette question d’accent ne cesse d’être au cœur des préoccupations des francophones en situation minoritaire, mais aussi dans la tête de ceux dont la langue maternelle est l’anglais et qui font le choix d’apprendre le français. C’est le cas de Sean Foster qui a été confronté à cette notion de bon ou de mauvais accent.
« Depuis l’âge de dix ans, je suis pris d’amour pour le français. Il y avait quelque chose en moi qui me poussait à apprendre le français. J’ai donc commencé à l’âge de 14 ans, en allant uniquement dans une école en français.
« Il y avait une fille dans ma classe qui me disait : Oh Sean quand tu parles français, on dirait que tu parles anglais. Ce n’était pas agréable d’entendre ça. Je ne pourrais jamais dire que je suis francophone natif. Ça tient à quelques détails, mais j’ai l’impression que je ne serai jamais aussi valide que les vrais francophones. »
Il faut donc travailler grandement à ce que cette insécurité linguistique disparaisse pour laisser place à la sécurité linguistique qui favorise la diversité des accents, comme le pense Sandrine Hallion.
« Dès lors qu’on ouvre la bouche, c’est comme une carte d’identité vocale, et puis on dit qui on est. Notre accent, c’est notre identité.
« Il faut accepter les différences, accepter l’autre dans ce qu’il a de spécifique. Je pense qu’on peut, par l’éducation et par la visibilité, renforcer le sentiment de légitimité et de sécurité linguistique. »
Texte issu des témoignages de notre balado Autres Regards sur la diversité linguistique. Pour écouter cet épisode :