Si la représentation est importante au niveau de la diversité des accents ou même de la religion, elle l’est tout autant lorsqu’on parle des corps. À la télévision, dans les magazines ou même sur Instagram, une certaine norme du corps idéal s’est installée laissant les autres corps pour compte.
Par Ophélie DOIREAU – avec des informations de Morgane LEMÉE et Jean-Baptiste GAUTHIER
IJL – Réseau.Presse – La Liberté
Il suffit d’arpenter les magasins de vêtements pour se rendre compte que la société insuffle une certaine norme sur les corps. Les tailles peuvent varier du XS au XL avec rarement d’autres choix outre les magasins spécialisés. Quel message, ce manque de diversité dans les tailles, envoie-t-il?
Andrée-Ann Dufour-Bouchard, nutritionniste et cheffe de projet pour l’organisme québécois Équilibre, évoque cette diversité de corps.
« La diversité corporelle réfère à l’existence naturelle d’un vaste éventail de silhouettes au sein de la population. Le mot clé dans cette définition, c’est : naturelle.
« On vit dans une société où la norme sociale est la minceur. Il y a plusieurs éléments qui vont la renforcer et les gens vont vouloir se conformer à cet idéal. »
Gabrielle Lisa Collard, militante anti-grossophobie, confirme cette image imposée par la société. « Je ne me souviens pas d’un moment où j’ai eu la conscience de mon corps sans avoir la conscience que celui-ci était gênant, inquiétant ou à surveiller. Par l’extérieur on se fait mettre des qualificatifs sur notre corps qui vont se cristalliser et faire partie de notre personnalité, qu’on le veuille ou non. »
Cette pression de la société conduit certaines personnes à vouloir changer leur propre corps. Mais est-ce possible? Moss Norman, professeur associé à la Faculté de kinésiologie, à l’Université de Colombie Britannique, y répond. « Bien sûr que nous pouvons changer notre corps, les régimes et l’exercice physique fonctionnent, la chirurgie esthétique fonctionne, les produits qu’on nous vend fonctionnent. Mais ce n’est pas éternel. On peut perdre du poids, mais le maintenir est la partie la plus compliquée. Il a aussi été prouvé que certains corps ne sont pas faits pour perdre du poids pour toujours.
« Il y a des dangers pour la santé mentale de toujours avoir l’impression de ne pas être assez bien, de toujours devoir travailler pour atteindre un autre stade. Les troubles alimentaires peuvent être liés à cette impression de ne pas être assez bien. Il y a aussi des dangers au niveau des médicaments et des produits pharmaceutiques. »
Andrée-Ann Dufour- Bouchard apporte un éclairage également. « Cette notion-là de quand on veut on peut pour contrôler notre poids, c’est quelque chose d’ancré en nous depuis des années à cause de la culture des diètes. C’est la seule industrie qui vend un produit qui n’est pas efficace sur le long terme et les gens se blâment pour quelque chose qui est hors de leur contrôle. »
Au cours de ses recherches, Moss Norman a pu observer les raccourcis faits entre l’apparence des personnes et le jugement qu’on leur porte. « C’est une préoccupation très présente à cause de la société de consommation. On vous montre vos défauts et on vend une solution contre ce défaut.
« Les aspects de santé sont une autre partie du problème. On vit dans un contexte où non seulement vous pouvez changer votre corps, mais vous devriez le faire parce que les messages liés à la santé disent de plus en plus que c’est ce que font les citoyens responsables. Et si les citoyens ne prennent pas le contrôle de leurs corps, ce ne sont pas des bons citoyens. »
Sarah Fellag a accepté de donner son témoignage à La Liberté pour parler de ce qu’elle appelle sa différence et sa force. « Ma différence, c’est que je suis en surpoids depuis toute petite. C’est une différence que j’ai vécue à l’école. À mon adolescence, c’est certainement la période où je l’ai le plus mal vécue. Aujourd’hui, je me sens comme un poisson dans l’eau, j’en joue même avec les endroits qui ne sont pas portés sur la diversité corporelle. »
| Un problème d’inclusion
Si Sarah Fellag se sent bien avec elle-même, il reste que la société lui rappelle sans cesse sa différence. « Pendant mon adolescence, c’était vraiment dur de me vêtir. À 15-16 ans tu veux porter des vêtements de jeunes, et tu fais ton shopping et tu te retrouves avec des trucs vieillots, parce que les magasins pour jeunes n’ont pas pensé à ta taille. »
« Quand tu voyages, moi je paie mon siège et les sièges sont tellement petits. C’est frustrant, parce que tu ne veux pas déranger tes voisins et c’est compliqué. Toujours dans l’avion, quand j’étais jeune, j’avais honte de demander une extension de ceinture. Maintenant je la demande sans aucune gêne » raconte Sarah Fellag.
« J’imagine que ça dépend des gens aussi, de comment ils se sentent à l’aise. Dans les restaurants, je n’ai pas honte de demander une autre chaise pour être à l’aise. Mais c’est un travail de banalisation. »
Moss Norman, dans le cadre de son doctorat, a étudié l’image corporelle auprès de garçons et d’hommes, parce que contrairement à ce qui peut être véhiculé dans la société, ces préoccupations ne sont pas uniquement féminines.
« En ce qui concerne l’idée que les hommes ne parlent pas de ces sujets, je pense en fait qu’ils en parlent, mais peut- être pas nécessairement dans le même discours que les filles et les femmes. Mais je pense que les hommes parlent de leurs propres projets corporels, que ce soit, par exemple, en travaillant sur leur corps, ou en termes de régimes divers auxquels ils soumettent leur corps. Ils parlent aussi de leurs angoisses par rapport à leur corps, mais juste de manière différente.
« Les hommes vont réagir différemment à ces messages sur la beauté du corps, la santé et toutes ces choses. Ils en subiront l’impact différemment et ils travailleront sur leur corps différemment. Cela dit, je pense qu’il existe de nombreuses preuves, si vous regardez les constructions médiatiques du corps masculin, l’aspect musculaire, le corps mince… c’est un idéal très convoité. Et beaucoup d’hommes et de garçons travaillent dans ce sens. »
Il est donc nécessaire pour plusieurs organismes de faire évoluer la mentalité de la société pour que tous les corps se sentent inclus dans la société. Andrée-Ann Dufour-Bouchard donne des pistes de réflexion :
« Je pense qu’individuellement, on doit réfléchir à nos propres préjugés, à notre relation avec notre corps, notre alimentation. Grâce à ce travail de réflexion, on peut voir où en est notre propre référant. Il faut continuer de s’éduquer, de s’informer auprès de sources crédibles. »
| La portée des mots
Sarah Fellag en parle à son tour : « Les réflexions très spontanées comme : Oh tu as maigri toi, Oh tu as pris du poids toi. Ce sont des réflexions qui peuvent avoir des impacts tellement grands sur la santé mentale de la personne. Il y a des gens fragiles dans la vie, alors juste des petits mots comme ça, ça peut devenir très gros pour quelqu’un. »
Le chemin est encore long pour faire déconstruire la société et Andrée-Ann Dufour-Bouchard explique qu’il est important de se réconcilier avec son propre corps pour pouvoir affronter le regard des autres.
« C’est très important de ne pas juste baser sa valeur sur son apparence physique. On oublie souvent tout ce qu’on est capable de faire grâce à notre corps, ce n’est pas juste un objet. L’acceptation de soi, ce n’est pas tout d’un coup de s’aimer chaque seconde de notre vie, on n’est pas obligé de tout aimer non plus. On peut juste être neutre et ensuite apprendre à voir ce qu’on aime dans notre corps. »
Gabrielle Lisa Collard reconnaît que les médias, la culture et les réseaux sociaux ont un grand rôle à jouer en termes de diversités corporelles.
« S’il y a quelque chose que je suis tannée de voir, c’est tout le temps la même chose : la jeunesse, la minceur et la blancheur. Ce ne sont pas les valeurs par défaut de l’humanité. L’humanité est diverse et elle le sera toujours. Alors j’aimerais voir à l’écran une société dans laquelle je vis. Quand tout le monde est invisibilisé, ça envoie le message que seulement ce type de personne mérite qu’on raconte ses histoires et que seulement ce type de personne mérite qu’on le voie. »
Andrée-Ann Dufour-Bouchard ne peut qu’être d’accord avec Gabrielle Lisa Collard.
« Je suis malheureusement d’accord qu’il manque de diversité, même si des progrès ont été faits. Surtout au niveau des dessins animés des enfants, ce sont souvent des personnages minces. »
| La place des réseaux sociaux
« On critique souvent les réseaux sociaux, mais il y a eu un aspect positif avec les groupes sur les réseaux sociaux qui se sont formés pour montrer davantage la diversité corporelle.
« Mais ce n’est pas forcément inclure les personnes grosses comme mannequin pour la publicité, mais dans l’ensemble du processus créatif. Comme personne mince, il est possible d’avoir des angles morts ou des préjugés, alors quand on inclut les personnes grosses ou tout simplement de la diversité, on bénéficie de leurs expériences pour éviter de récréer des situations de malaise pour elles. »
Texte issu des témoignages de notre balado Autres Regards sur la diversité linguistique. Pour écouter cet épisode :