FRANCOPRESSE – Privés de voyages pendant près de deux ans, plusieurs sautent dans l’avion dès que possible. Des experts s’inquiètent des impacts écologiques et culturels de ce tourisme de masse.

Marianne Dépelteau – Francopresse

Selon l’Organisation mondiale du tourisme (OMT) des Nations Unies, le tourisme international a augmenté de 182 % de janvier à mars 2022, par rapport à la même période de l’année précédente.

Selma Zaiane-Ghalia, professeure à l’École de kinésiologie et de loisir de l’Université de Moncton et présidente de l’Acfas-Acadie, y voit une tentative de compenser les deux années de confinement ou d’éviter les regrets en cas d’une prochaine vague de restrictions.

Selma Zaiane-Ghalia est professeure à l’École de kinésiologie et de loisir de l’Université de Moncton et présidente de la section Acfas-Acadie. (Photo : Gracieuseté)

Elle pense notamment à ceux « qui ont des résidences secondaires et qui en ont été privés pendant la pandémie », et à ceux qui ont de la famille éloignée. « On a senti l’absence de ces liens familiaux […] Certaines personnes ont perdu des membres de famille sans pouvoir leur dire au revoir. »

Le comédien et conférencier TEDX mondial Joze Piranian, basé à Toronto, complète actuellement un séjour au Liban.

Il avait plusieurs raisons de retourner voir son pays d’enfance : « Il y a eu l’explosion du 4 aout 2020 à Beyrouth, au Liban […] et j’ai perdu un ami d’enfance dans cette explosion, confie-t-il. Je suis ici premièrement pour un tournage […] j’ai eu plusieurs mariages d’amis à moi cet été. »

Il voyageait environ trois fois par mois pour le travail avant la COVID-19 et affirme avoir hâte de reprendre cette habitude.

« J’aime beaucoup profiter de ces occasions […] découvrir la ville, le pays dans lequel je suis, dit-il. Maintenant, j’ai l’impression qu’on hésite moins [qu’avant la COVID] à dire oui quand ce genre d’occasion se présente. »

Joze Piranian à l’Université américaine de Beyrouth, au Liban. (Photo : Nicolas Tawk)

Une économie peu favorable

Selma Zaiane-Ghalia doute cependant que les chiffres battent des records : « L’électricité, les dépenses de voiture, les assurances, le cout de la vie, l’alimentation et les frais médicaux ont augmenté. Tout ça va gruger sur les budgets loisirs. »

D’un autre côté, « vous trouvez maintenant des jeunes qui vont laisser la nourriture pour dépenser dans leur cellulaire, leur Internet. Ils vont privilégier [les loisirs] », note-t-elle. 

Wayne Smith, professeur à la Ted Rogers School of Hospitality and Tourism Management de la Toronto Metropolitan University, parle d’un tourisme modifié : « Au lieu de partir deux semaines quelque part, je vais […] faire un voyage plus court ou je vais rester dans mon pays. Au lieu d’aller en Europe, je vais rester au Canada et explorer un endroit que je n’ai jamais vu. »

Selma Zaiane-Ghalia avertit toutefois que certains secteurs sont limités dans leur capacité à accueillir les touristes : « On n’a plus de main-d’œuvre. Les compagnies aériennes manquent de pilotes, les hôteliers manquent de personnel, les restaurateurs ne trouvent pas de saisonniers pour travailler. »

Les dégâts écologiques

Selon une étude parue en 2018, le tourisme représenterait 8 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre.

Frédéric Dimanche, directeur de la Ted Rogers School of Hospitality and Tourism Management, observe que les entreprises touristiques subissent des pressions afin de faire mieux.

Il remarque cependant que, malgré les efforts de certaines entreprises, plusieurs ne savent pas comment faire alors que la science est en retard sur ce dossier. 

Frédéric Dimanche est directeur de la Ted Rogers School of Hospitality and Tourism Management de la Toronto Metropolitan University. (Photo : Gracieuseté)

Selma Zaiane-Ghalia souligne quant à elle que le tourisme de masse — où les voyageurs prennent d’assaut certaines destinations — est problématique, mais représente un certain potentiel économique.

« C’est facile de dire qu’on vit dans la simplicité, que l’on ne voyage plus et que l’on arrête de consommer, mais il y a d’autres personnes qui vivent de ma consommation, souligne-t-elle. La réponse, c’est faire une éducation environnementale. »

Elle suggère de limiter le nombre de voyageurs pouvant accéder simultanément à une destination donnée, une proposition qu’endosse aussi Frédéric Dimanche. Il demeure toutefois sceptique : « Est-ce que les gouvernements vont mettre en place des systèmes pour limiter ces flux? Je ne le pense pas. »

D’après Wayne Smith, « le tourisme de masse peut fonctionner s’il est bien géré. Si vous allez dans un endroit comme Disney, qui a été conçu pour le tourisme […] c’est moins problématique que dans un endroit comme Venise, où l’on n’a pas mis en place les contrôles appropriés ».

Il insiste sur l’importance de mettre en place des règlementations environnementales, ce qui serait d’après lui plus profitable économiquement à long terme, car les sites durent ainsi plus longtemps.

Plusieurs compagnies aériennes tentent le carburant durable d’aviation et éliminent les plastiques à usage unique, rapporte Rachel Dodds, aussi professeure à la Ted Rogers School of Hospitality and Tourism Management.

Wayne Smith est professeur à la Ted Rogers School of Hospitality and Tourism Management de la Toronto Metropolitan University. (Photo : Gracieuseté)

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Exemples de règlementations environnementales :

  • Gestion des eaux usées
  • Gestion des déchets
  • Système de transport public
  • Nettoyage des chambres d’hôtel sur demande seulement

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Rachel Dodds est professeure à la Ted Rogers School of Hospitality and Tourism Management de la Toronto Metropolitan University. (Photo : Nick Palin)

Le patrimoine en souffre

« Souvent, les populations locales vont dire que peu leur revient. Beaucoup [des revenus] vont aux grandes sociétés, grandes chaines hôtelières et grandes agences de voyages qui organisent ce tourisme de masse », dit Selma Zaiane-Ghalia.

Elle explique que l’environnement ne concerne pas seulement l’écologie, « c’est aussi nos richesses culturelles, ce que nos ancêtres nous ont transmis, c’est tout le patrimoine culturel qu’on essaie de sauvegarder. C’est sur ce plan que, depuis quelques années, on a commencé à ressentir une saturation par le fait d’avoir du tourisme de masse non éduqué. »

Des sites connus, comme la maison aux pignons verts à l’Île-du-Prince-Édouard, deviennent saturés de touristes et s’en trouvent endommagés. « Les gens prennent un morceau d’un bâtiment. Dans une mosaïque, ils vont prendre des [abacules]. Quand ce sont des milliers de personnes, vous avez la mosaïque qui va disparaitre », déplore Selma Zaiane-Ghalia.

Responsabilités gouvernementales

Par courriel, Environnement et Changement climatique Canada confirme travailler « avec des partenaires pour évoluer vers une économie circulaire des plastiques qui maintient les plastiques dans l’économie et hors de l’environnement ». 

L’attaché de presse Samuel Lafontaine précise qu’en 2019, les voyages en avion ont généré un peu plus de 1 % du total des gaz à effet de serre au Canada. Le Plan de réduction des émissions pour 2030 du ministère prévoit une approche pangouvernementale sur la décarbonisation à long terme du secteur.  

Au sein même du Canada, Frédéric Dimanche recommande le développement d’un train à grande vitesse pour éviter que les voyageurs prennent la voiture, surtout entre Toronto et Québec, qui comptent de fortes populations.

« Je crois qu’il y a des évènements chocs comme la COVID qui ont un impact sur les entreprises et sur la façon dont elles vont opérer dans le futur, souligne-t-il. Je pense néanmoins qu’on a besoin de plus d’efforts de la part des gouvernements du monde. »