FRANCOPRESSE – Justin Trudeau a dévoilé le 28 aout le premier Plan d’action fédéral 2ELGBTQI+ du Canada, financé à hauteur de 100 millions $ sur cinq ans. Il s’agit selon plusieurs d’une avancée intéressante, mais imprécise sur la question de qui pourra en bénéficier au sein de la francophonie minoritaire et chez les plus petits organismes.

Inès Lombardo – Francopresse

Pour élaborer ce Plan, un sondage lancé entre novembre 2020 et février 2021 a récolté les réponses de 25 636 personnes 2ELGBTQI+ au Canada.

Des organismes indiquaient l’an dernier à Francopresse ne pas avoir été consultés pour l’élaboration du questionnaire et ne pas avoir été informés du travail effectué à ce sujet. 

L’organisme Alter Acadie, créé en janvier 2022, représente les personnes 2ELGBTQI+ au Nouveau-Brunswick. Pascale Joëlle Fortin-Daigle, qui en assure la présidence, assure toutefois ne connaitre « aucune organisation ou personne de mon réseau » qui aurait été consulté pour l’élaboration du sondage ou qui y aurait répondu.

Iel n’avait même jamais entendu parler du Plan avant l’annonce du 28 aout. « C’est une belle surprise de voir que le fédéral veut s’engager envers la communauté. Le lendemain de l’annonce, j’ai reçu plein de messages de gens de la communauté LGBTQI2+! Puis ma seconde réaction était : “Ça veut dire quoi concrètement?” », raconte Pascale Joëlle Fortin-Daigle.

Pascale Joëlle Fortin-Daigle assure la présidence d’Alter Acadie, au Nouveau-Brunswick. (Photo : Gracieuseté)

Un plan « ouvert » aux petits organismes

Les données du sondage ne lui offrent pas vraiment de réponse. « On ne sait pas comment ni où n’a été fait le sondage. Se sont-ils concentrés sur les centres urbains ou ont-ils pris en compte les petites ruralités? Ont-ils sondé l’Est et l’Ouest du Canada ou sont-ils restés plutôt au centre? Je serais curieuse d’en apprendre davantage. » souligne-t-iel.

En effet, le portrait démographique des répondant·es indique que 90 % vivaient en région urbaine.

La page de résultats du sondage indique que le recrutement a été effectué « avec l’aide de plusieurs organisations communautaires et de ministères fédéraux, ainsi que par le bouche-à-oreille, les communications publiques et la publicité dans des médias et sur des réseaux sociaux 2ELGBTQI+ ».

« Les résultats sont représentatifs de ceux qui ont répondu au sondage et ne peuvent être utilisés pour faire des généralisations sur l’ensemble de la population des personnes 2ELGBTQI+ vivant au Canada », peut-on encore lire.

L’autre élément flou est de savoir qui pourra bénéficier des fonds disponibles, soit 100 millions $ sur cinq ans prévus dans le budget 2022.

De ce montant, 75 millions $ iront aux organismes communautaires qui font valoir les revendications des personnes 2ELGBTQI+, dont 40 millions $ « sous forme de nouvelles subventions et contributions pour le renforcement des capacités des organismes des communautés 2ELGBTQI+ », d’après le communiqué du gouvernement.

En tant que « petit organisme francophone », Alter Acadie n’est pas certain de pouvoir en bénéficier.

« Va-t-on avoir assez d’expérience ou est-ce que ce sont davantage les grands organismes qui sont bien établis depuis belle lurette [qui recevront des fonds]? se questionne Pascale Joëlle Fortin-Daigle. Ce serait l’idéal si les 40 millions $ devenaient un peu du financement de base pour des organismes plus petits pour appuyer les efforts dans les différentes provinces et territoires. »

En entrevue avec Francopresse, la présidente du Conseil du Trésor, Mona Fortier, assure que le Plan est « ouvert aux organismes en situation rurale, marginalisés et à ceux qui représentent les CLOSM [communautés de langue officielle en situation minoritaire]. Nous avons lancé ce Plan avec une porte ouverte à tous ceux ou celles qui vont répondre à certains critères ».

Mona Fortier, présidente du Conseil du Trésor. (Photo : Lombardo – Francopresse)

La ministre souhaite même « qu’il y ait trop de demandes, de sorte qu’on réalise qu’il y a tellement de possibilités qu’il faudra continuer de trouver des moyens de soutenir tout le monde ».

Questionnée à savoir si le financement pourrait être bonifié, Mona Fortier garde la porte ouverte sans toutefois s’avancer : « C’est un commencement. Nous sommes un gouvernement à l’écoute, alors au fur et à mesure qu’on va avancer, on va apprendre et améliorer ce Plan d’action. »

Et les francophones en situation minoritaire?

Le Plan inclut, mais ne cible pas spécifiquement les organismes francophones minoritaires.

Pour la doctorante à l’Université d’Ottawa Valérie Lapointe, qui étudie la relation entre le mouvement LGBTQ+ et les partis politiques au Canada, « 100 millions $, c’est une enveloppe substantielle. Mais le diable est dans les détails et il faudra voir dans cinq ans comment ça s’est matérialisé et quelles ont été les mesures, notamment pour les communautés de langue officielle en situation minoritaire ».

La chercheuse note toutefois que le document « est davantage un canevas de travail qu’un plan d’action écrit avec des mesures qui engagent les ministères. Ce sont plutôt des intentions et un budget ».

Valérie Lapointe, doctorante à l’Université d’Ottawa, étudie la relation entre le mouvement LGBTQ+ et les partis politiques au Canada. (Photo : Gracieuseté)

Le Plan précise que des 25 636 répondants, « 18 % ont indiqué que le français était la première langue apprise à la maison et encore parlée, pendant que moins de 1 % a indiqué une langue autochtone à cet égard. »

Pour Pascale Joëlle Fortin-Daigle, d’Alter Acadie, ces données ne veulent pas dire grand-chose : « On peut faire dire n’importe quoi à une statistique qui parle de la langue française. »

Iel dit seulement espérer « que ce Plan bénéficie autant aux grands organismes qu’aux petits et autant aux anglophones qu’aux francophones ».

La ministre Fortier assure que le Plan d’action fédéral 2ELGBTQI+ et le futur Plan d’action sur les langues officielles 2023-2028, qui devrait être adopté en mars prochain, « sont des occasions pour augmenter […] l’accès aux services en français pour les personnes 2ELGBTQI+ ».

« Durant les Consultations pancanadiennes [sur les langues officielles, NDLR] cet été, certains organismes nous ont partagé leurs défis sur la santé mentale en français », explique-t-elle. Mona Fortier y voit « une autre occasion d’accompagner les groupes représentatifs du milieu minoritaire francophone, dont les personnes LGBTQI2+ ».

Valérie Lapointe identifie deux décisions prises par Justin Trudeau depuis son élection qui contribuent au bienêtre de la communauté 2ELGBTQI+ :

  • En 2016, le premier ministre a nommé un conseiller spécial sur les enjeux liés aux communautés LGBTQ2, Randy Boissonnault, député d’Edmonton-Centre et aujourd’hui ministre du Tourisme et ministre associé aux Finances. Justin Trudeau a aussi institué le Secrétariat 2ELGBTQI+, «dont le mandat consiste à proposer au gouvernement fédéral des voies pour corriger les injustices que les personnes 2ELGBTQI+ ont subies et subissent au Canada», peut-on lire dans le Plan d’action.

« Ce Secrétariat 2ELGBTQI+ est la première instance fédérale qui travaille à temps plein sur la question et à qui le gouvernement donne des moyens financiers pour répondre à leurs besoins », développe Valérie Lapointe.

  • En 2017, Justin Trudeau a présenté ses excuses officielles au Parlement pour la « purge LGBT », une campagne de persécution policière et de discrimination au sein des Forces armées canadiennes, de la GRC et de la fonction publique, qui visait à repérer et à se débarrasser des fonctionnaires LGBT en raison de leur orientation, de leur identité sexuelle ou de leur expression de genre. Cette pratique discriminatoire a eu cours dès les années 50 et s’est poursuivie jusqu’au milieu des années 1990. Une entente d’indemnisation de 145 millions $ a été conclue.