DOSSIER – À la fin du 19e siècle et au début du 20e siècle, le monde canadien français se bute au nationalisme du Canada anglais. Darwinisme social et idéaux impériaux sont bien vivants, au détriment de la population francophone.

Andréanne Joly – Projet spécial

L’affaire Louis Mailloux au Nouveau-Brunswick (N.-B.) en 1875 illustre à quel point Canadiens anglais et Canadiens français sont opposés dans leurs idéaux.

Des outils de construction nationale

Chez les francophones, des journaux sont fondés et deviennent des outils de construction nationale, souvent avec l’appui de communautés religieuses, très influentes auprès des populations francophones. Certaines de ces publications existent encore.

D’abord, il y aura Le Moniteur acadien (N. -B., 1867), Le Métis (Manitoba, 1871, qui deviendra Le Manitoba, 1881-1925), le Courrier des Provinces Maritimes (N. -B., 1885-1903), L’Évangéline (N.-B., 1887-1982). Suivra Le Patriote de l’Ouest (Saskatchewan, 1910-1941, fusionné avec La Liberté).

L’année 1913 sera fertile et porteuse : Le Madawaska (N.-B.) vivra jusqu’en 2018, tandis que Le Droit (Ontario) et La Liberté (Manitoba) paraissent encore de nos jours. La Survivance, en Alberta, verra le jour en 1928 pour devenir Le Franco, toujours publié.

Le journal franco-manitobain, La Liberté, a été fondé en 1913.

La toute première édition du journal Le Droit, né le 15 janvier 1913, en pleine crise du Règlement XVII, en Ontario. Source : Bibliothèque et archives nationales du Québec.

En préparant sa thèse de doctorat qui a donné « De l’impuissance à l’autonomie. Évolution culturelle et enjeux identitaires des minorités canadiennes-françaises » (Éditions Prise de parole, 2017), Laurent Poliquin a aussi observé un important réseau de communication dans la première moitié du 20e siècle. « On ne se gênait pas de republier un article du Devoirdans Le Droit, La Liberté, Le Franco, et on mentionnait la source. Il y a une espèce de dialogue entre journaux et journalistes » qu’il aimerait par ailleurs étudier davantage.

Engagés dans une cause

Dès leur naissance, ces journaux s’investissent d’une mission claire. Le Courrier des Provinces Maritimes se définit comme «avocat de la cause francophone dans les Maritimes et comme architecte de l’opinion publique». Par exemple, en 1867, Le Moniteur acadien publie un premier éditorial : «Trop heureux si nous pouvons venir en aide à notre pauvre peuple acadien en lui fournissant une feuille qui lui apprendra ce qu’il est, ce qu’il a été et ce qu’il est appelé à devenir.»

La toute première édition du journal Le Droit, né le 15 janvier 1913, en pleine crise du Règlement XVII, en Ontario. Source : Bibliothèque et archives nationales du Québec.

Laurent Poliquin a étudié le discours des journaux canadiens de langue française de la première moitié du 20e siècle. Pour lui, c’est clair et précis : «[ils] sont nés contre le phallacisme anglosaxon, dit-il. En fait, Le Droit est né de cette idée de combat», rappelle l’auteur. Il a dégagé très clairement une rhétorique. «On lit ces articles-là et on le sent : on essaie de convaincre le lecteur, avec les émotions, de s’engager dans la cause.»

C’est sur ce ton que nait une presse canadienne française – catholique et militante.