DOSSIER – Lorsqu’il était à la tête de la Chaire de recherche en éthique du journalisme de l’Université d’Ottawa, active de 2008 à 2014, Marc-François Bernier a constaté que les médias en milieu minoritaire sont dans l’angle mort de la recherche.

Andréanne Joly – Projet spécial

De son poste d’éditorialiste à l’Acadie Nouvelle, François Gravel abonde dans le même sens. Il remarque que les médias en milieu francophone minoritaire « évoluent dans des milieux minoritaires et peu populeux, ce qui a pour conséquence qu’ils obtiennent moins d’attention des chercheurs ». Il note toutefois de l’amélioration parce que, « dans les dernières années, des chapitres et des thèses ont été rédigés et publiés. » 

François Gravel. (photo : Gracieuseté)

Selon les revues de la littérature, il parait un ouvrage collectif sur la question toutes les décennies. Le professeur Marc-François Bernier les énumère : « Il y en a en 1990, en 2000 et en 2010, lorsqu’on a fait un colloque là-dessus », au moment du centenaire des journaux Le Droit et La Liberté. À cette liste pourrait s’ajouter un colloque de l’Université Sainte-Anne en Nouvelle-Écosse, fin 2019, qui avait pour thème « Les médias francophones sous toutes leurs coutures » et qui a réuni universitaires, journalistes et gestionnaires.

« Les conclusions des recherches sur les grands médias ne peuvent pas être appliquées intégralement aux médias en milieu minoritaire, croit Julien Cayouette, rédacteur en chef du journal Le Voyageur, en Ontario. La relation entre ces médias et leurs lecteurs est différente. » Il cite une étude des sociologues Christiane Bernier, Simon Laflamme et Sylvie Lafrenière qui « démontre un lien entre la présence de médias et la vitalité de la langue minoritaire ».

Marc-François Bernier. (photo : Gracieuseté).

Pourtant, de la matière!

Depuis le milieu des années 1990, le professeur Marcel Martel, de l’Université York à Toronto, constate que le nombre de chercheurs qui s’intéressent à la francophonie en situation minoritaire est limité.

Julien Cayouette. (photo : Mélanie Tremblay-Stunik Médias)

« On a l’impression que faire de la recherche en situation minoritaire c’est difficile, que la plupart des profs et des institutions n’ont pas le temps de faire de la recherche. Souvent, les études sur la francophonie sont partielles. »

« Pourtant, il y a tant de pistes à explorer», renchérit la doctorante et journaliste Annie Desjardins. Elle s’explique mal pourquoi les médias des communautés linguistiques en situation minoritaire ne font pas l’objet de plus d’études, notamment après 2010, à l’ère des réseaux sociaux, du virage numérique et de la désinformation.

Selon elle, les étudiantes et étudiants préfèrent plutôt les relations publiques au journalisme. « Le journalisme n’a pas la cote. C’est sûr que s’il n’y a pas beaucoup de personnes qui font des études en journalisme, ça ne va pas donner beaucoup d’ouvrages [issus des cycles supérieurs] non plus. »

Annie Desjardins. (photo : Gracieuseté France Noël

Le rôle des éditoriaux

L’historien Marcel Martel propose la création d’une anthologie de textes écrits par la francophonie canadienne en situation minoritaire depuis 1867, à laquelle pourraient se greffer des éditoriaux.

Ce recueil « nous ferait prendre conscience que la francophonie s’est toujours exprimée sur des enjeux importants », explique le titulaire de la Chaire Avie-Bennett en histoire canadienne à l’Université York de Toronto.

Ces prises de parole, marquant souvent l’indignation, reflétaient l’esprit du temps par le contexte, le vocabulaire et les arguments.

Marcel Martel. (photo : Gracieuseté)

La question scolaire est bien entendu au premier plan des écrits, mais si demander des services en français n’a rien de nouveau, « c’est une revendication qui a changé au fil du temps », fait valoir le chercheur.

« Une fois que la question de l’éducation primaire et secondaire a été plus ou moins réglée à la fin des années 1960, on pouvait passer à autre chose », résume-t-il. Les textes ont, par exemple, alors traité de l’accès aux soins de santé et aux services de santé mentale ou d’immigration […], tandis que ceux de l’élite incitaient plutôt les Canadiens français à fonder des familles nombreuses – la revanche des berceaux.

La diversité de la francophonie pourrait aussi être mise en évidence. « L’anthologie nous permettrait de prendre conscience qu’il y a eu des Noirs d’expression française qui ont pris la parole, poursuit M. Martel. C’était parfois une parole qui choquait les leadeurs de la francophonie “de souche” », blanche, catholique et d’origine française.