Au fil des années, les chemins d’Étienne Gaboury et de Roger Léveillé se sont croisés par des partages d’écrits, des moments informels, et surtout grâce à l’amitié que l’auteur manitobain partage avec Lise Gaboury-Diallo, fille de l’architecte, autour de la littérature. Roger Léveillé partage humblement son estime et son regard sur Étienne Gaboury, l’homme et l’architecte. 

Par Morgane LEMÉE

Roger Léveillé décrit, d’entrée de jeu, un lien d’artiste à artiste. « On se comprend. De façon artistique, culturelle, poétique. De par l’appréciation de la beauté du monde, des formes. C’est un architecte, mais son architecture est aussi une poésie. La poésie ne se retrouve pas seulement dans les recueils de poèmes. Ça dépasse les écrits. C’est une vision du monde. Une appréciation de la beauté du monde, de la place des structures dans la communauté, de leurs effets, leurs services. Je pense qu’Étienne Gaboury avait un sentiment très profond de tout ça, et ça se retrouve dans son oeuvre. »

Pour Roger Léveillé, l’architecture, ce n’est pas ériger un monument à la volonté de l’architecte, mais plutôt au désir et à l’existence de la communauté que celui-ci représente. Et c’est ainsi qu’il voit l’oeuvre d’Étienne Gaboury. « Je me rappelle, une fois, il est allé créer un monastère en dehors de la province, en Alberta ou Saskatchewan, je crois. Lui-même est allé vivre plusieurs jours dans la communauté religieuse pour voir comment ils vivaient, pour avoir un sentiment de leur vie, pour connaître le terrain qu’ils habitaient. Il a conçu quelque chose pour évoquer les élévateurs à grains, qui disparaissent maintenant, pour évoquer ce symbole de l’agriculture de l’Ouest, mais en même temps pour représenter cette élévation vers le ciel, comme le veulent tous les temples. 

Roger Léveillé. (photo : Archives La Liberté)

« C’est un architecte qui vient des Prairies, qui sait à quel point le soleil est important dans la vie au rural. Lui-même est né près de Bruxelles, au Manitoba. Dans son architecture, il y a l’importance des fenêtres, de l’ouverture, toujours un peu de clarté et de lumière qui viennent bénir l’espace, élever l’esprit humain.

« Je pense que c’était sa pensée : l’architecture doit élever l’esprit humain. Que ce soit une église, une prison, un centre de police. La conception du lieu doit respecter cette chose fondamentale pour lui. C’est vraiment le sentiment d’élévation. Il appelait ça la transcendance. »

| Architecture et spiritualité

Pour Roger Léveillé, toute l’architecture d’Étienne Gaboury est empreinte d’une forme de spiritualité. Mais c’est aussi une histoire de temps. « Étienne Gaboury est un monument, parce qu’il a vraiment commencé son oeuvre architecturale à un moment clé. C’était dans les années 60, lors de la Révolution tranquille au Manitoba français. Il a été appelé à lancer son architecture au moment où les communautés religieuses faisaient construire de nouvelles églises, de nouveaux temples. On a beaucoup fait appel à lui. 

« Je pense que c’est une conjonction d’époques. Ce renouveau liturgique exigeait des espaces de culte différents. À partir de là, il les a non seulement pensés dans le sens religieux, mais aussi en fonction de l’être humain. Il y a un grand sentiment d’humanité chez lui, on ressent ça dans toutes ses oeuvres. »

En parlant d’humanité, on évoque très souvent l’architecte, mais qui est l’homme derrière le nom d’Étienne Gaboury? Roger Léveillé ne prétend pas le connaître dans l’intime, mais a décelé quelqu’un d’une grande sensibilité. « C’est un être sensible, pensif, très cultivé. Il aime la littérature du Manitoba français. Étienne Gaboury est quelqu’un de discret, sans aucune ostentation chez lui. Mais sûr de lui-même en même temps. Il dit toujours que son épouse, Claire, l’a appuyé toute sa vie. 

« La famille Gaboury est très douée. Notamment sa fille, Lise, en littérature, et sa petite-fille aussi, Anna Binta Diallo, est une excellente artiste. Lui et son épouse, Claire Breton-Gaboury, céramiste, ont laissé beaucoup de traces esthétiques dans la communauté. »

| De Saint-Boniface à l’international

L’oeuvre d’Étienne Gaboury a teinté tout Saint-Boniface, Winnipeg et le Manitoba. Il suffit de regarder autour de soi. « La face visible de la communauté franco-manitobaine moderne, c’est bien l’architecture d’Étienne Gaboury. Parce qu’on la voit partout, même en région rurale. C’est un legs qu’il nous donne. C’est pourquoi bien d’autres et moi-même, on a lutté pour que le poste de police et le Carré civique soient maintenus dans leur intégrité architecturale. Cela demeure un des seuls exemples existants de ce qu’on appelle une architecture brutaliste. C’est un lieu hautement symbolique, à bien des égards.

Église du Précieux-Sang. (photo : Marta Guerrero)

« Étienne Gaboury est reconnu à tel point que de grands architectes américains sont venus à l’Université du Manitoba pour ses conférences. Je sais qu’on le contactait régulièrement par rapport à la conception de son église du Précieux-Sang, inspirée de l’esprit de Ronchamp (1). Ça reprend l’esprit de l’hélice qui tourne. Ça finit par évoquer un peu le tipi autochtone. Ce lieu est plein de symbolisme.

« Et puis, il a construit l’Ambassade du Canada au Mexique. Ça veut dire que cet architecte a une compréhension de ce que peut représenter le Canada. C’est pour dire toute la dextérité et l’utilité de la pensée de cet architecte. »

L’ambassade du Canada à Mexico inaugurée en 1982. (photo : Archives de la Société historique de Saint-Boniface)

Tout au long de sa carrière Étienne Gaboury a travaillé sur plus de 900 projets architecturaux, que ce soit au Manitoba (Saint-Boniface, Winnipeg et dans les municipalités rurales bilingues) et au Mexique, mais aussi en Saskatchewan, aux États-Unis, en Afrique (Côte d’Ivoire, Ghana, Niger), en Asie (Cambodge, Chine, Japon, ou encore en Europe (Espagne, Finlande).

(1) Évocation de la chapelle Notre-Dame-du-Haut, à Ronchamp (France), conçue par l’architecte Le Corbusier, qui a été une grande influence dans le travail d’Étienne Gaboury.