Plusieurs annonces importantes en termes financiers ont été faites dans les derniers jours au sujet de la sécurité de l’itinérance et des refuges pour les personnes sans-abris. Quelques acteurs du milieu réagissent à ces financements annoncés par la première ministre du Manitoba, Heather Stefanson et la ministre des Familles, Rochelle Squires.

Par Ophélie DOIREAU et Jonathan SEMAH

Initiative de journalisme local – Réseau.Presse – La Liberté

1127. C’est le nombre de personnes qui ont expérimenté d’itinérance d’après un recensement effectué le 21 et 22 avril 2021 par l’organisme End Homelessness. Sur ces 1127 personnes, 370 étaient dans la rue et 54 dans des camps. 178 personnes disaient être dans une situation d’itinérance chronique.

Ce chiffre est largement sous-estimé puisque ce recensement a eu lieu sur deux journées.

Dans cette optique d’améliorer les conditions des personnes qui vivent dans l’itinérance, le gouvernement provincial a annoncé le 31 octobre de nouveaux investissements pour les refuges et les aides à la location.

Concrètement, le Manitoba augmentera son taux de financement annuel des refuges, des services de logement de transition et des mentors en matière d’approche des sans-abri, qui passera de 6,1 millions $ à 15,1 millions $. Cet argent sera accordé aux organismes communautaires qui travaillent directement avec les personnes qui sont ou risquent d’être sans-abri à Winnipeg, Brandon, Thompson et Le Pas.

« Nous faisons plus que doubler le soutien apporté à nos refuges qui, à leur tour, soutiennent nos citoyens les plus vulnérables, parce que c’est la bonne chose à faire », a déclaré la ministre des Familles Rochelle Squires, soulignant que le financement annuel n’a pas augmenté depuis 2009.

Cette hausse du financement a d’ailleurs été annoncée dans les locaux de Siloam Mission, un organisme qui vient en aide aux sans-abri et propose un refuge temporaire sécuritaire.

Sa présidente-directrice générale, Tessa Blaikie Whitecloud, est reconnaissante envers le gouvernement provincial et explique l’importance que cette annonce va avoir pour son organisme. « C’est important pour nous. Ça va nous aider à continuer les services sans faire de compromis et d’augmentation des coûts. Les conséquences de l’économie actuelle, notamment l’inflation, nous touchent aussi beaucoup donc c’est une manière d’être plus serein grâce à ce nouvel apport financier. »

Même si son organisme va pouvoir naviguer sur des bases plus solides économiquement, Tessa Blaikie Whitecloud indique que cette hausse du financement est juste ce qu’il faut pour maintenir les refuges et aider au logement. « Historiquement, nous n’avions pas les fonds nécessaires pour les refuges au Manitoba. Cette nouvelle hausse représente juste le bon niveau pour travailler. Ça va surtout nous éviter de fermer des services ou des structures et soutenir le logement. »

Mitch Bourbonnière est travailleur social et engagé dans plusieurs organismes qui visent à venir en aide aux plus démunis. (photo : Raphaël Boutroy)

Constat partagé par Mitch Bourbonnière, travailleur social qui est engagé dans plusieurs organismes qui viennent en aide aux plus démunis. « Je suis forcément content des annonces faites au sujet des refuges pour les sans-abri et au sujet des services mobiles. Ce sont des services vraiment importants qui sauvent des vies.

« Nous faisons face à une crise de l’itinérance plus que jamais. Apporter leur soutien à des organismes qui se consacrent à cette cause est toujours une bonne chose. Cependant, à l’avenir, il va nous valoir une stratégie globale pour que les services puissent travailler ensemble. Ce qui nécessitera évidemment du financement. »

| Une situation qui reste difficile

Si ces annonces tombent au bon moment et sont très utiles pour Siloam Mission et d’autres organismes, Tessa Blaikie Whitecloud sait bien que la situation ne s’arrangera pas rapidement. Alors que les mois les plus froids s’en viennent, elle détaille les problèmes actuels.

« On se prépare. On sait que l’hiver va être dur pour les gens qui vivent dans les campements. On va avoir plus de personnes qui se rendent dans les refuges pour du soutien. Avec la COVID-19, l’inflation, le manque de logements appropriés et abordables, on aura plus de gens qui souffrent. »

Tessa Blaikie Whitecloud compte aussi sur la solidarité entre organismes pour passer les prochains mois. « On travaille notamment avec Main Street Projet, N’Dinawemak et l’Armée du salut pour avoir des plans en plus si quelque chose arrive ou si l’hiver est extrêmement rude et que nous sommes tous remplis. Mais l’un des problèmes que nous avons aussi, c’est que beaucoup de personnes vivent au refuge pendant des mois, car il n’y a pas assez de logements encadrés et sécuritaires dans lesquels elles peuvent emménager. On n’a pas assez de ressources pour les aider, ni assez de places. »

De son côté Mitch Bourbonnière tient à rappeler que les refuges ne sont pas des options pour tout le monde. Les sans-abri connaissent des situations qui leur sont propres.

« Les refuges pour sans-abri sont des endroits importants parce qu’ils permettent à des gens de se mettre en sécurité et de ne pas mourir. Le rôle des refuges n’est alors pas à sous-estimer.

« Cependant, ce n’est pas un système qui fonctionne pour tout le monde. Des femmes peuvent ne pas se sentir en sécurité. Les personnes les plus vulnérables dans la rue peuvent ne pas se sentir en sécurité.

« Certaines personnes choisissent de ne pas utiliser les refuges parce qu’elles doivent être sobres et qu’elles ne sont pas capables de l’être. D’autres personnes ont l’impression de faire partie d’une famille quand elles sont dans les camps alors que dans les refuges elles ne peuvent pas être ensemble. Tout le monde est différent. »

| De l’aide aussi pour la sécurité et les addictions

C’est au lendemain de cette annonce au sujet des refuges que la Province a publié d’autres informations, cette fois-ci, pour plus de sécurité dans les rues et la lutte contre les addictions.

Sur la question de la sécurité, la Province a versé une contribution de 3,6 millions $ au Downtown Community Safety Partnership (DCSP), une initiative de collaboration communautaire lancée en 2020 pour créer un centre-ville de Winnipeg plus sûr et plus accueillant pour les entreprises et les résidents.

Créé en 2020 avec un investissement initial de 5 millions $ du gouvernement manitobain, ce nouvel apport va notamment aider le DCSP à augmenter les effectifs de ses trois équipes de patrouille de première ligne – CONNECT, MAC24/7 et COAR – qui agissent 24 heures sur 24, 7 jours sur 7.

« Je félicite le gouvernement du Manitoba de continuer à soutenir les patrouilles qui font une telle différence dans nos rues », a dit Mark Chipman, président du conseil d’administration de DCSP.

Enfin, en ce qui concerne les addictions et la santé mentale, d’autres éléments sont à relever. Le gouvernement provincial prévoit d’investir 625 000 $ pour lutter contre les surdoses de drogues et pour aider à la réhabilitation des personnes toxicomanes.

Quelque 215 000 $ iront notamment à l’organisme St. Boniface Street Links qui reçoit des fonds pour son projet de sensibilisation et d’intervention de soutien mobile pour les personnes qui consomment des drogues, plus connu sous l’acronyme anglais OASIS.

Marion Willis est la fondatrice et directrice de l’organisme St. Boniface Street Links. (photo : Marta Guerrero)

« Toutes ces annonces sont très importantes. Elles disent à tout le monde que le gouvernement manitobain commence à reconnaître que nous avons de très sérieux défis dans cette Province et dans cette Ville. La province se positionne maintenant pour travailler avec les organisations comme la nôtre qui tentent de relever ces défis. C’est un vrai message d’espoir. Il s’agit d’un changement majeur, car jusqu’à présent, nous n’avions pas du tout de relation avec le gouvernement du Manitoba », explique Marion Willis, directrice générale de St. Boniface Street Links.

Selon Marion Willis, pour s’attaquer aux causes profondes de l’itinérance, il faut changer d’approche. « Au lieu de parler de sans-abrisme, parlons plutôt de l’épidémie de drogues qui ronge la ville et la province. Mettons nos ressources pour nous attaquer à la crise de la drogue. Si nous réussissons à avoir un impact sur cette crise, nous nous attaquerons également au problème des sans-abri et à la santé mentale. Nous commencerons aussi à réduire les crimes, la violence et le taux d’homicide car toutes ces choses sont liées entre elles. »

Si un vent d’espoir souffle du côté de Marion Willis, régler la question des addictions restera très délicate. « L’épidémie de drogue à laquelle nous sommes confrontés dans la ville représente un grand nombre de problèmes très complexes à résoudre. Il y a tellement de facteurs différents. Je pense qu’ils commencent à réaliser qu’ils ont besoin de moderniser la façon dont nous traitons l’addiction. »

Il reste que pour Mitch Bourbonnière, comme Marion Willis, malgré ces annonces, le travail est encore long pour améliorer la qualité de vie des personnes itinérantes. « Au moins deux choses doivent être améliorées pour le système actuel : un accès facilité aux traitements contre l’alcool et la drogue et du logement supervisé et soutenu. Ces deux éléments sont essentiels pour améliorer l’itinérance. »